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enveloppe de toutes parts ce patrimoine diminué, ce petit reste d’état ecclésiastique sauvé des annexions et réservé par un artifice de diplomatie comme le théâtre exigu d’une dernière expérience. En un mot, on sent à mille signes, à un je ne sais quoi qui est dans l’air, que ce domaine temporel de la papauté, qui a bien de la peine à retenir encore Velletri, Viterbe, n’est plus qu’une anomalie.

Oui, mais en même temps une autre impression se dégage, se précise et se fortifie, c’est que, si ces dernières provinces laissées au saint-siège sont déjà plus qu’à demi détachées, Rome, même italienne ou destinée à le devenir, ne reste pas moins Rome, c’est-à-dire une ville exceptionnelle entre toutes les villes. Je comprends, après l’avoir vue, que les Italiens se soient enflammés à la pensée de l’avoir pour capitale, qu’ils aient voulu aller chercher là le couronnement de l’unité de l’Italie. Je comprends aussi qu’ils hésitent aujourd’hui ou du moins qu’ils soient un peu plus patiens qu’ils ne le paraissent et qu’on ne le croit. C’est qu’en réalité ce qui fait de Rome une cité unique éloigne l’idée d’une capitale ordinaire. C’est la ville de la religion, des arts, des traditions, des souvenirs, des ruines, où se mêle la poussière de deux antiquités. Vieux débris romains et splendeurs de la papauté, tout s’y confond, tout prend un aspect étrange et saisissant de grandeur. Il n’est pas jusqu’à cette zone de solitude, cette grande et mélancolique campagne dont elle est entourée, qui, en l’isolant pour ainsi dire du monde, ne rende plus sensible ce caractère exceptionnel, cette originalité d’une ville faite pour vivre par elle-même comme un centre mystérieux et attachant où tout ce qui est bruit du dehors semble s’amortir. En d’autres termes, les états romains sont italiens; ils suivent ou ils vont suivre la fortune de l’Italie. — Rome, c’est Rome, la ville italienne sans doute, mais encore plus universelle, qui porte sa destinée écrite sur sa face, dans ses monumens comme dans son histoire. — Cette double impression qu’on ressent en entrant à Rome n’a rien de contradictoire; elle est complexe comme la situation dont elle est le reflet, et il se trouve que, même dans ce qu’elle a d’inconciliable en apparence, elle résume merveilleusement cette grande et terrible question romaine au moment actuel, au point où elle a été conduite par les événemens, à cette heure où s’ouvre la crise décisive par l’échéance de la convention du 15 septembre 1864 et par la retraite de la France. Elle est peut-être aussi comme une révélation instinctive de l’unique solution possible et pratique aujourd’hui, dans cette situation poussée à bout qui redevient tout à coup une sorte d’émouvante et énigmatique obsession.

Ce n’est plus le moment, je pense, de se perdre dans les théories historiques ou philosophiques sur l’origine et sur les conditions traditionnelles du pontificat, d’exhumer les vieilles donations de