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père asservi, diminué par la présence du roi au Quirinal. « Si ces craintes étaient fondées, disait-il lui-même, si réellement la chute du pouvoir temporel devait entraîner une telle conséquence, je n’hésiterais pas à dire que la réunion de Rome au reste du royaume serait fatale non-seulement au catholicisme, mais à l’Italie, car je ne puis concevoir un plus grand malheur pour un peuple civilisé que de voir réuni dans une seule main, dans la main du gouvernement, le pouvoir religieux et le pouvoir civil. Partout où s’est produite cette réunion, la civilisation s’est arrêtée presque aussitôt et n’a jamais manqué de prendre une direction rétrograde. Le plus odieux despotisme s’est établi, et cela est arrivé, soit qu’une caste sacerdotale usurpât le pouvoir temporel, soit qu’un calife ou un sultan s’emparât du pouvoir spirituel. Partout cette fatale confusion a conduit aux mêmes résultats. Dieu nous préserve qu’il en soit ainsi dans ces contrées! »

Il en résulte que cette politique qui paraît simple, qui semble se résumer dans un mot, Rome capitale, laisse le problème dans sa grandeur, dans sa complexité, prend pour complices le temps, les circonstances, la marche de l’opinion. Les Italiens n’ont vu d’abord que ce qui flattait leur passion, ce qui était devenu une fascination, le mot de Rome capitale. Depuis ils ont réfléchi, ils ont subi l’empire des circonstances : ils n’ont pas abdiqué une politique qui au fond est dans la force des choses; mais ils ont vu, ils commencent à voir, si je ne me trompe, que si plus d’un chemin conduit à Rome, il peut y avoir aussi plus d’une manière d’y être, dans la mesure du possible et du nécessaire, sans que l’intégrité nationale en soit diminuée. Ils sont en train, je le crois bien, de tourner encore une fois la difficulté.

Lorsque Cavour, avec une apparence d’audacieux entraînement et en réalité avec une nette et mûre prévoyance, proclamait Rome capitale, il faisait ce qu’il devait faire. C’était affirmer l’unité italienne dans un moment où cette unité était encore en doute et à peine considérée comme durable, quoiqu’elle fût dès lors la seule forme possible; c’était lui donner une expression solennelle, éclatante, un symbole visible; c’était enfin, chose bien plus grave, étouffer dans le germe toutes les divisions, imposer silence à toutes les rivalités, à toutes les ambitions locales, trancher la question par le seul nom devant lequel toutes les autres villes italiennes pussent plier sans regret. Aujourd’hui le but est atteint; l’unité est faite, et c’est pour la forme qu’on peut dire que, si elle est faite, elle n’est point achevée ; elle a passé par toutes les épreuves, elle a triomphé même des fautes qui ont pu être commises, et par l’annexion de la Vénétie le dernier obstacle contre lequel elle pût encore se briser vient de tomber. La question de Rome, de la possession de fait, a