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perdu de son importance dans la mesure même de ce progrès de l’unité. Je ne dis pas que Rome ne soit toujours la plus enviable des capitales, qu’elle ait perdu sa toute-puissante fascination sur les Italiens. De toutes les villes de la péninsule, c’est évidemment celle qui répond le mieux à l’idée d’une capitale. C’est la seule qui, par son histoire, par sa grandeur, par toutes ses traditions, ait un caractère universel, c’est la seule qui garde encore cette majesté imposante des villes appelées à être la tête d’une nation; mais c’est peut-être encore plus vrai moralement que politiquement.

La vérité est que l’Italie est le pays le moins fait pour avoir une capitale comme on l’entend, c’est-à-dire un de ces foyers immenses, absorbans, — où se concentrent toutes les forces politiques, administratives, économiques, intellectuelles. Qu’est-ce qu’une capitale d’Italie? Le siège du gouvernement avec tout son attirail administratif, le lieu où se réunissent les chambres. Parce que chambres et gouvernement sont aujourd’hui à Florence, et parce qu’ils seraient demain à Rome, est-ce que Milan, Turin, Venise, Naples, Bologne, Gênes, toutes ces villes populeuses, florissantes, renoncent à cette sorte d’autonomie qu’elles ont gardée, à leur vie propre, à leurs intérêts ? La liberté qu’elles ont aujourd’hui ne sert qu’à un nouveau développement de vie locale. On va à Florence sans s’y établir, en passant, comme on irait demain à Rome. Les mœurs italiennes ne se prêtent pas à ces déplacemens, à ces attractions d’un centre dominant, et selon toute apparence la consolidation de l’unité nationale deviendra le point de départ d’un large et fécond mouvement de décentralisation où toutes les forces se produiront librement sans se subordonner à la prépondérance d’une ville, sans autre lien que celui d’une nationalité commune désormais indissoluble. Les Italiens le sentent bien eux-mêmes; ils ne le disent pas toujours, mais ils ont l’instinct de ce changement de circonstances. De là ce refroidissement du désir qui semblait les emporter irrésistiblement, aujourd’hui plutôt que demain, vers Rome, et qui est devenu moins ardent, moins pressé ou plus raisonné à mesure que l’œuvre de leur reconstitution nationale a fait du chemin.

Ce que je veux dire, c’est que Rome sans aucun doute doit être une ville italienne, la première des villes italiennes, — que, même invisible, elle a joué par son nom un rôle décisif dans l’œuvre nationale de l’Italie, mais que ce n’est point dès ce moment une capitale effective nécessaire, — le siège nécessaire du gouvernement. Pour moi, je me suis trouvé l’esprit ému de tous ces problèmes dans cette ville, la seule qui ait reçu dans l’histoire le nom d’éternelle. J’ai parcouru le chemin du Vatican et de la colonnade de Saint-Pierre au Quirinal, de la porte du Peuple au Colisée; j’ai contemplé des hauteurs du Pincio et du Monte-Mario la ville ro-