Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Virgile a beaucoup abusé de la flatterie envers Auguste, employant, pour le déifier sous toutes les formes, des expressions que l’on n’hésiterait pas à déclarer ridicules, si on les trouvait ailleurs[1]. Leur excès même est une sorte d’excuse. Ce sont des exagérations poétiques et mythologiques qu’on ne saurait prendre au sérieux ; mais malheur à un temps où l’usage établit de pareils lieux communs !

Il y a pour Virgile une autre excuse. Il devait tout à Octave, qui, à la recommandation de Mécène, de Pollion, d’Alfenus Varus, fit deux fois rendre à Virgile ses biens, dont les vétérans, ce fléau de la propriété italienne, l’avaient dépouillé. Sa jeunesse n’avait vu que les guerres civiles, dont son âme tendre avait horreur, et qui troublaient ses studieux loisirs. Il n’avait embrassé aucun parti politique, et n’eut rien à trahir. Il faut, en déplorant quelques vers d’une complaisance immodérée pour le pouvoir nouveau, savoir gré à Virgile de ne lui avoir pas sacrifié la gloire de l’ancienne Rome, d’avoir loué le premier Brutus et le dernier Caton, d’avoir appelé celui-ci grand, et de l’avoir placé dans l’Elysée, comme donnant des lois aux âmes justes.

Les bustes de Virgile sont dénués de toute authenticité[2] ; mais il faut convenir que la douceur et la pureté des traits qu’on lui prête conviennent à ce qu’on sait de son caractère aimable et candide, non moins qu’à la pureté de son génie. Si ces portraits n’ont pas été faits d’après lui, on peut toutefois les dire très ressemblans et quelque sorte, car ils ressemblent à son âme et à ses vers. Il en serait de ces bustes comme de celui d’Homère, certainement idéal, mais qui est pour ainsi dire l’effigie de sa poésie sublime.

On n’a pas non plus de buste authentique d’Horace. Son portrait est dans ses œuvres, où il se peint tout entier avec un charmant abandon et sans trop se flatter, pas plus au physique qu’au moral, petit, replet, les yeux chassieux. Une médaille nous prouve qu’il vivait une figure fine et spirituelle, comme devait l’être, celle de l’auteur des Satires et des Epitres, qui forment la partie la plus

  1. Offrant à César de choisir dans le ciel le nom et le rôle qui lui conviendront le mieux, et faisant allusion au mois d’août, qui a reçu son nom et dont il sera, s’il veut, le signe divin, Virgile l’avertit que le scorpion resserre ses bras pour lui faire de la place et lui permettre d’occuper à lui seul un plus grand espace que les autres signes du zodiaque. (Georg., I, 34.)
  2. Icon. rom., I, p. 180. L’auteur de l’Iconographie romaine pense que quelques traits de ressemblance ont pu rester au portrait de Virgile placé en tête d’un manuscrit de ses œuvres, qui se trouve au Vatican. Ce manuscrit ne remonte pas au-delà du XIIe siècle ; mais évidemment le Virgile qui est en tête n’a pas été imaginé au moyen âge. Il a donc dû être copié d’après de plus anciens manuscrits. Nous savons par Martial (XIV, 1, 86) que l’on mettait les portraits des auteurs en tête de leurs ouvrages.