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pape une force complice de la domination étrangère, il leur est permis désormais de voir en lui un élément de grandeur et de lustre pour leur patrie. La franchise des intentions est garantie par la certitude positive des intérêts. L’intérêt évident des Italiens leur prescrit aujourd’hui défaire tout ce qu’ils pourront pour que l’existence de la papauté à Rome se concilie avec les conditions de leur nouvelle vie politique ; sans avoir rien à souffrir dans sa dignité et dans sa liberté intérieure, l’Italie peut montrer à l’égard du pouvoir pontifical la plus facile complaisance et la patience la plus conciliante. Tous les symptômes annoncent que nous ne nous trompons point sur l’idée que les Italiens ont de leur intérêt véritable dans la question romaine et sur la tendance de leurs dispositions. L’écrit le plus avancé auquel ait donné lieu la situation actuelle est la brochure romaine Il Senato di Roma ed il Papa. Or rien de moins révolutionnaire que cette manifestation présentée au nom des Romains, et qui va chercher dans le droit historique les données d’un gouvernement municipal de Rome qui pourrait se concilier avec les immunités légitimes de la papauté. Les mesures et les paroles du gouvernement italien sont décisives. M. Ricasoli est ici sur son vrai terrain, et fait admirer la sincérité de son libéralisme et la fermeté de ses principes. Il ne lui coûte rien de rouvrir leurs diocèses aux évêques qui s’étaient montrés réfractaires au nouveau régime ; il est prêt à laisser à l’église, avec le désintéressement le plus sage, la liberté de recruter elle-même sa hiérarchie ; il se montre décidé à faire respecter par le patriotisme italien la convention du 15 septembre. Enfin il se prépare à envoyer à Rome un négociateur agréable au pape, l’honorable M. Vegezzi.

On peut donc compter sur le bon vouloir de l’Italie ; faut-il désespérer du bon vouloir de la cour de Rome ? Le pape saisira-t-il la première occasion, le premier prétexte pour abandonner la cité souveraine où le gouvernement des âmes a depuis tant de siècles pris l’héritage de l’ancienne domination politique du monde ? Cherchera-t-il un refuge dans l’une de ces frégates que l’Autriche, l’Espagne et le Portugal promènent dans les eaux de Civita-Vecchia ? Ira-t-il cacher l’autorité suprême de l’église dans le vieux donjon de Malte, que ne défendent plus les chevaliers hospitaliers, ou dans le sombre Escurial, imprégné de la féroce mélancolie de Philippe II ? Nous repoussons de notre esprit de si tristes prévisions. Nous sommes convaincus que Pie IX restera à Rome tant qu’il s’y croira obligé ou autorisé par le sentiment du devoir et par la conscience. Les papes de notre époque ne sont point des fanatiques, des sectaires, des joueurs de coups de partie. Le pape actuel n’est point homme à subordonner ses devoirs spirituels à une manœuvre qui, sous l’espoir mesquin de créer des embarras à ses adversaires, pourrait compromettre les grands intérêts religieux qui lui sont confiés. Une mission religieuse donne à ceux qui l’acceptent avec conviction une force passive qui leur permet de dédaigner la maligne petitesse des expédiens politiques. Comme évêque et comme patriarche de la catholicité, le pape n’a en conscience le droit de quitter Rome que tous la pression