Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/768

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une violence irrésistible. Ceux qui parlent d’un abandon volontaire de Rome par le pape se font une étrange idée des devoirs d’un évêque et des nécessités du gouvernement de l’église catholique. Des motifs d’intérêts temporels n’autorisent point un évêque à déserter son diocèse ; la délicatesse de sa conscience met sur ce point Pie IX à l’abri des incitations imprudentes et des coups de tête. Quand on parle d’ailleurs de la papauté, il ne faut point la restreindre aux intérêts et aux volontés d’un seul homme. A côté du pape, il y a le collège des cardinaux, il y a les congrégations qui forment les départemens ministériels du gouvernement ecclésiastique. Comment de gaîté de cœur, tant qu’on demeure respecté dans l’exercice de l’autorité et de la liberté religieuses, irait-on déplacer sans sollicitude pour le présent et pour l’avenir ce vaste organisme du gouvernement catholique ? Ces cardinaux sont de paisibles vieillards attachés à Rome par les plus fortes et les plus douces habitudes ; peut-on les condamner brusquement aux incertitudes et aux privations d’une émigration errante ? Ces conseils désespérés, auxquels ni le gouvernement italien ni la population romaine ne fourniront de prétexte, ne prévaudront point dans l’âme chrétienne de Pie IX. Il ne fuira point devant l’épreuve que lui impose une force des choses où il doit voir le signe d’une volonté divine. Le pape, nous en sommes convaincus, ne quittera point Rome.

Quant à nous, nous avons une idée si haute des responsabilités du gouvernement italien et de la papauté dans les conjonctures présentes, nous sommes si naturellement portés à croire que Florence et Rome ont en ce moment le sentiment profond de leurs devoirs, que nous eussions désiré qu’aucune ingérence officielle étrangère, trop éclatante et trop prononcée, ne s’exposât à troubler les deux forces politique et morale qui vont se trouver en présence, et sont tenues de commencer sous le regard du monde l’œuvre de leur conciliation. C’est dire que la mission du général Fleury, quoique inspirée par une sollicitude fort naturelle, ne nous paraissait point indispensable. Le rôle de la France devrait être de prêter à l’Italie et à la papauté tous les bons offices que l’une et l’autre pourraient avoir à nous demander, de leur suggérer des idées pratiques de conciliation, s’il nous en vient à l’esprit, de les aider dans les premiers contacts et dans les premiers essais de rapprochement, mais de faire tout cela sans ostentation et sans bruit. Nous voudrions que la France fût à jamais dégagée de toute immixtion dans les affaires intérieures de l’Italie et dans cette portion des affaires romaines qui forme, à vrai dire, une question intérieure italienne. Nous souhaiterions, si l’expérience qui commence venait à échouer, qu’on ne pût se croire autorisé à en attribuer la mauvaise issue au prétexte apparent de quelque empressement intempestif et maladroit de notre part. Aussi n’est-ce point sans une certaine alarme que nous avons entendu récemment parler d’un prochain pèlerinage de l’impératrice à Rome. Les informations données sur ce projet par plusieurs journaux n’ayant point été démenties, il est vraisemblable que la pensée de ce voyage a existé,