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cation de phénomènes qui semblaient ne dépendre que du jeu des affinités. Les transformations successives de la matière organique en apparence abandonnée par la vie se ramènent ainsi, dans beaucoup de cas, à de véritables phénomènes d’organisation, et quand nous la voyons se décomposer, cette destruction ne s’opère pas sans l’apparition d’une multitude d’êtres nouveaux : la vie préside elle-même au travail de la mort. M. Pasteur, que l’on peut à cette heure regarder comme le principal représentant de la nouvelle école, a étudié à ce point de vue le cercle entier des métamorphoses par lesquelles les matières animales et végétales, exposées au contact de l’air ou enfouies dans le sol, disparaissent en restituant à l’atmosphère et au règne minéral les principes que les organismes vivans en avaient empruntés ; la fermentation, la putréfaction, la combustion lente, tout cela est corrélatif du développement de quelque champignon ou de quelque infusoire. Les atomes qui ont servi à composer un corps vivant et que la mort a brusquement mis hors d’emploi ne se dissolvent pas sans que le microscope nous révèle la mousse des tombes, dernière manifestation de la force organisatrice qui s’éteint.

Prenons pour exemple les fermentations. On les considérait comme étant des altérations chimiques causées par la seule présence d’un principe appelé ferment. Le ferment, disait-on, n’emprunte rien et ne cède rien au corps qui se décompose ; c’est une substance qui, en s’altérant elle-même, communique une sorte d’ébranlement aux molécules du corps fermentescible, et les excite à se désunir. La fibrine, la caséine, l’albumine et beaucoup d’autres substances azotées peuvent jouer le rôle de fermens, mais la plus active sous ce rapport est la levure de bière. Lorsqu’on introduit une de ces substances dans un liquide sucré, le sucre, qui est formé de carbone, d’hydrogène et d’oxygène, se décompose de différentes manières, suivant les circonstances, ou, comme on dit, suivant la nature de la fermentation qu’il subit : dans la fermentation alcoolique, il se dédouble en alcool et en acide carbonique ; dans la fermentation butyrique, il donne naissance à l’acide volatil qui existe dans le beurre rance, et ainsi de suite ; chaque espèce de fermentation est caractérisée par des produits particuliers qui se dégagent. La nature de ces réactions chimiques est suffisamment connue ; on doit à Lavoisier lui-même l’explication de celle qui constitue la fermentation alcoolique. Ce qui n’est encore que très imparfaitement connu, ce qui fait encore de nos jours un sujet de doute et de division pour les savans, c’est la cause qui détermine toutes ces réactions. Les uns, comme nous l’avons déjà dit, se représentent les fermens comme des matières qui, en s’altérant elles-mêmes, ébranlent par communication les groupes moléculaires du corps fermentescible avec lequel on les met en contact ; ils en troublent l’équilibre et donnent, pour ainsi dire, le signal d’une effervescence générale. On pourrait à la rigueur se contenter de cette explication, qui est celle de M. de Liebig, et qui n’a rien de contraire aux principes aujourd’hui admis dans la science ; mais M. Pasteur la rejette et la remplace