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par une autre, basée sur les résultats de ses expériences. Il a trouvé que toutes les fermentations sont produites par des êtres organisés d’ordre inférieur, par des cellules de levure, de nature végétale, ou par des animalcules infusoires, qui prennent naissance dans la liqueur altérable, s’en nourrissent et en accomplissent directement la transformation. Les matières azotées, qui facilitent les fermentations, doivent cette vertu à la propriété qu’elles ont d’alimenter et de multiplier les fermens vivans ; elles fournissent l’aliment azoté pendant que le sucre fournit l’aliment carboné.

On savait depuis longtemps que la levure de bière se compose de corpuscules ovoïdes d’un diamètre inférieur à un centième de millimètre ; Cagniard-Latour fut le premier qui les reconnut pour des êtres organisés. M. Pasteur nous apprend que ces corps, loin d’agir par leur simple présence, consomment du sucre qu’ils s’assimilent et qu’ils rendent sous forme d’alcool et d’acide carbonique. Ce sont de véritables végétaux parasitaires dont le développement suit une marche parallèle à celle de la fermentation. La levure de bière est la cause de la fermentation alcoolique ; d’autres levures, dont les cellules ont un aspect différent, déterminent d’autres fermentations, ou mieux prennent naissance en même temps que ces fermentations s’accomplissent. Il y a une corrélation étroite, une véritable réciprocité entre la production de ces cellules organisées et l’acte de la fermentation.

Quand la fermentation est accompagnée d’un dégagement de gaz fétides, ce qui a lieu surtout lorsque le corps qui se décompose contient du soufre, on la nomme putréfaction. M. Pasteur démontre que les phénomènes de cette catégorie sont déterminés par des fermens organisés, du genre vibrion, animalcules qui ne consomment ni air ni oxygène libre, au rebours de ce qui s’observe généralement pour les animaux. Les vibrions agissent à l’intérieur du milieu fermentescible, où ils sont à l’abri de l’air ; ils y déterminent des réactions d’un ordre particulier[1]. En même temps d’autres animalcules, appelés bactéries, achèvent l’œuvre de destruction à la surface qui est en contact avec l’air ; ils brûlent les produits de la fermentation qui s’opère en dessous ; ils brûlent ensuite les vibrions-fermens, puis se brûlent eux-mêmes : les derniers survivans provoquent la combustion de la génération précédente en attirant sur les cadavres l’oxygène de l’air. C’est ainsi que se trouve accompli le retour intégral à l’atmosphère et au règne minéral de la matière morte.

  1. Ces animalcules ne vivent qu’à l’abri de l’oxygène libre ; le contact de l’air les fait mourir, les brûle, les étouffe, parce qu’ils ont trop d’affinité pour l’oxygène qu’il renferme. En revanche, ils usent sobrement de l’oxygène qui existe à l’état de combinaison dans les matières organiques, et ils touchent ainsi à la constitution moléculaire de ces produits ; de là la fermentation. Si les poissons, au lieu de consommer l’oxygène de l’air dissous dans l’eau, tiraient ce gaz de l’eau elle-même en la décomposant, la mer dégagerait sans cesse des torrens d’hydrogène, elle fermenterait.