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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/794

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vectives grossières. Il avait ainsi irrité les uns, intimidé les autres, aigri enfin l’opinion publique, à tel point qu’entre les radicaux exaspérés et les démocrates reprenant courage il n’y avait plus de compromis ni de conciliation possibles. Les radicaux avancés du sénat rejetèrent l’amendement comme insuffisant, tandis que les démocrates le rejetaient comme révolutionnaire, et M. Sumner lui porta le dernier coup en proposant à la place une loi proclamant l’égalité immédiate et absolue des deux races, mesure plus logique et plus franche, mais qui ne pouvait pas être soutenue par les républicains modérés.

On se rabattit alors sur le bill des droits civils. Cette mesure, présentée d’abord sous la forme d’un amendement à la constitution, avait été si longuement débattue et ballottée d’une chambre à l’autre, qu’elle avait fini, dans ces migrations successives, par se transformer en une simple loi destinée à faire disparaître les plus odieuses des inégalités soigneusement maintenues entre les blancs et les affranchis. Elle conférait à ceux-ci le plein exercice des droits civils et judiciaires, et elle établissait des peines spéciales pour les juges ou les magistrats récalcitrans. Cette loi ne pouvait être accusée de blesser les principes de la constitution : elle n’était que le développement naturel et indispensable de l’amendement constitutionnel de l’année dernière, qui en abolissant l’esclavage avait chargé le congrès de pourvoir par des lois nouvelles à la protection des affranchis. La modération la plus exigeante n’y pouvait rien trouver à redire, car les droits qu’elle garantissait aux noirs étaient ceux que le président Johnson lui-même s’était efforcé d’obtenir de la bonne volonté des états du sud, et sans lesquels, à vrai dire, leur liberté nominale n’eût été qu’un vain mot; mais le président était résolu d’avance à trouver mauvais tout ce qui viendrait de ses adversaires, et il fulmina encore une fois son veto sur le Capitole. Cette fois seulement les foudres présidentielles restèrent sans effet. Le congrès annula le veto sans hésiter, en déclarant qu’il était prêt à rester en session jusqu’au mois de novembre, si le président ne se prêtait de bonne grâce à l’exécution de la loi. L’humiliation qu’il avait cru pouvoir infliger aux radicaux était retombée sur lui seul.


II.

Ce conflit semblait devoir être le dernier. Au fond, les deux opinions n’étaient pas tellement éloignées qu’il fût impossible de signer entre elles une paix boiteuse qui aurait duré tant bien que mal jusqu’aux élections prochaines. L’échec des droits civils était pour M. Johnson un avertissement salutaire. Il apprenait par là