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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/82

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enchantés de ces délicieux aspects dont Horace, moins occupé que nous ne le sommes du pittoresque, n’a point parlé. La ville moderne de Lariccia s’est perchée, comme il arrive souvent, dans la citadelle de la ville ancienne. M. Pierre Rosa, cet explorateur infatigable et sagace de la campagne romaine, qui excelle à découvrir les ruines que son aïeul Salvator Rosa aimait à peindre, a cru retrouver les restes de la petite auberge où Horace a logé (hospitio modico), et même des vases contenant l’orge destinée aux montures des voyageurs. Arrivés à l’entrée des marais Pontins, nous ne pouvons pas faire comme Horace, qui s’embarqua le soir sur un canal pour les traverser ; ce canal n’existe plus. Les marais Pontins ne sont plus des marais, mais des prairies à demi noyées, où croît une végétation luxuriante, où l’on voit les bergers à cheval pousser de leurs longues lances les bœufs enfoncés jusqu’au poitrail dans les grandes herbes. On roule rapidement sur une bonne route qui a remplacé la route antique, souvent envahie par les eaux au temps de Lucain :

Et quæ Pontinas via dividit uda paludes.


Horace préféra le canal à la route de terre, peut-être parce que le chemin était dégradé momentanément. Cette conjecture de M. Desjardins me paraît plausible. « Horace, dit-il, s’embarque le soir sans avoir soupé, se condamnant à ne point dormir pour faire un trajet de cinq lieues, auquel il fallut consacrer toute la nuit et une partie de la matinée du lendemain, en suivant le canal. En admettant comme vraisemblable qu’un épicurien, qui plaçait au nombre des malheurs tout ce qui devait lui imposer quelque gêne, choisît sans motif ce mode fatigant de transport, il est peu probable que les gens d’affaires, les personnes pressées d’arriver, se soumissent par fantaisie aux ennuis d’un pareil trajet. » Cependant il faut reconnaître qu’au dire de Strabon il était d’un usage très général de prendre cette voie, surtout la nuit.

Le moment de l’embarquement, la confusion qui s’ensuit, l’entassement des voyageurs dans le coche de Terracine, sont peints par Horace avec une amusante vivacité. « Les bateliers et les esclaves se disent des injures. — Aborde ici. — Tu en mets trois cents. Oh !… c’est assez… — Pendant qu’on paie sa place et qu’on attelle la mule, une heure se passe. » A entendre ces injures échangées, ces cris, à voir la lenteur avec laquelle on procède et le nombre de voyageurs qu’on empile dans le bateau, on dirait qu’Horace a eu affaire à des Romains d’aujourd’hui. Ce qui suit est encore caractéristique des mœurs du pays, et il n’est pas de voyageur en Italie qui ne se rappelle quelque incident pareil à celui qu’Horace va raconter.