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« Les cruels moustiques et les grenouilles des marais éloignent de nous le sommeil. Les mariniers et les passagers bien abreuvés chantent à l’envi leur maîtresse absentes Enfin, au moment où les voyageurs fatigués commencent à s’endormir, le conducteur paresseux envoie paître sa mule, attache à une pierre la corde de la barque, et, couché sur le dos, ronfle de grand cœur. Le jour était venu, et nous ne sentions pas le bateau marcher. L’un de nous, à tête vive, s’élance, et d’un bâton de saule laboure la tête et les reins de la mule et du batelier. »

Horace excelle dans les détails familiers. Ce n’est pas un touriste cherchant des impressions ; il voyage un peu à la manière de Montaigne, nous parlant de ses maux d’yeux, comme celui-ci de ce qu’il appelle sa colique. Cependant l’un et l’autre ; quand il leur en prend fantaisie, rencontrent des traits qui peignent. Ainsi Horace nous montre par un vers la ville volsque d’Anxur posée sur les rochers blancs qui dominent la moderne Terracine :

Impositum saxis late candentibus Anxur.


Ce vers n’est-il pas tout un tableau, tracé, comme faisaient les anciens, d’un pinceau sobre et vif.

Mais revenons à Rome. Horace n’a pas seulement caractérisé l’aspect de plusieurs parties de la ville qu’il avait devant les yeux ; par une divination singulière, épouvanté du danger des dissensions civiles, il a prévu et prophétisé l’aspect que présenterait un jour la cité d’Auguste, quand elle serait envahie par les barbares ; et au milieu du luxe et de l’opulence d’une civilisation qui semblait assurée, le poète, en général optimiste, s’est écrié : « Vainqueur, le barbare foulera aux pieds la cendre de Rome, où résonnera le sabot de son coursier. » Horace, chose étrange, semble entendre retentir sur la voie Sacrée le galop triomphant du cheval d’Alaric.

Horace ne nous a pas appris où était sa maison de ville ; probablement sur le mont Esquilin, où habitaient Mécène et, non loin de lui, Properce et Virgile. Ce qui est certain, c’est qu’Horace fut enterré dans les jardins de Mécène et auprès de celui-ci. Cette sépulture honore l’homme puissant qui, dans son testament, disait à Auguste : « Souviens-toi d’Horatius Flaccus comme de moi-même, » et qui, après avoir accueilli et protégé Horace pendant sa vie devait encore accueillir et protéger sa cendre, quand le poète ne serait plus. Oui, le souvenir de Mécène mérite d’être associé à celui d’Horace, non pas seulement parce qu’il fut pour lui un protecteur, mais parce qu’il mit de la grâce dans sa protection, encourageant la timidité du jeune homme inconnu qui l’abordait comme le fils