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C’est en vain qu’il s’efforçait de le gagner par des flatteries vulgaires, lui disant qu’il était son tribun, son serviteur, homme du peuple lui-même et défenseur des intérêts populaires contre l’oligarchie du congrès : on ne lui pardonnait pas la triste gloire dont il couvrait la plus haute fonction de la république.

Ce fut bien pis encore à Détroit. Cette ville d’opinions toutes conservatrices, c’est-à-dire toutes démocratiques, avait fait un excellent accueil au président. M. Johnson se sentait là sur son terrain, et pouvait se permettre bien des licences qui ailleurs n’auraient pas été tolérées. Il allait achever son discours au milieu des trépignemens de la foule, quand par malheur une voix s’éleva pour lui reprocher très sottement son maigre traitement de 25,000 dollars. Cette interruption lui fournit le texte d’une sortie nouvelle et odieuse contre le congrès. « Oui, je le sais, s’écria-t-il, toute la meute des calomniateurs a été lâchée sur moi! tout le chenil a aboyé sur mes talons pendant ces derniers huit mois!... Mais laissez-moi vous dire ce qu’a fait votre congrès... Ce congrès pur, immaculé, dévoué au peuple, a trouvé commode, pendant qu’il était au pouvoir, de profiter de l’occasion et de doubler sa paie... Oui, ce congrès immaculé a doublé sa paie, tandis qu’en même temps il était assez magnanime pour voter 50 dollars pour les braves vétérans de la guerre... Pour des hommes mutilés et infirmes, ce congrès immaculé donne 50 dollars, pendant qu’il double ses émolumens et qu’il reçoit 4,000 dollars par an! » Si le président n’était pas fou, il était ivre lorsqu’il tint ce langage, car il avait dans son escorte des membres du congrès !

Ce fut à Saint-Louis qu’il atteignit le plus haut point de démence. Il s’était décidé, en quittant Chicago, à revenir par ces border-states si voisins des états du sud qu’ils avaient failli partager leur fortune, et où sa politique nouvelle devait compter bien des partisans. Il parlait à Saint-Louis devant un auditoire prévenu, déterminé d’avance à applaudir toutes les énormités qui sortiraient de sa bouche. Il en profita pour ramasser dans un long discours tout ce qu’il avait semé sur sa route d’invectives et de calomnies. Cette harangue, interrompue sans cesse par les questions ou les quolibets de la populace, ne fut, à vrai dire, qu’une espèce de conversation familière et parfois honteuse. Ce n’est pas ainsi que son regrettable et vénéré prédécesseur, auquel il aimait tant à se comparer pour se donner modestement l’avantage, avait coutume de parler au peuple : M. Lincoln, qui n’était pourtant ni un rhéteur théâtral ni un président majestueux, savait allier à des formes rustiques cette dignité simple dont M. Johnson avoue lui-même qu’il fait si peu de cas. Non-seulement il répéta avec insistance son accusation de rapacité contre le congrès et ses aimables plaisanteries sur