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Prusse, on ne pouvait en tirer parti : si on les eût publiées, les Saxons les auraient taxées de pièces supposées et forgées à plaisir pour autoriser une conduite audacieuse qu’on ne pouvait soutenir que par des mensonges ; cela obligea d’avoir recours aux pièces originales qui se trouvaient encore dans les archives de Dresde. Le roi donna des ordres pour qu’on les saisît. Elles étaient toutes emballées et prêtes à être envoyées en Pologne. La reine, qui en fut informée, voulut s’y opposer. On eut bien de la peine à lui faire comprendre qu’elle ferait mieux de céder par complaisance pour le roi de Prusse… « C’est ainsi que Frédéric lui-même, en son récit de la guerre de sept ans, expose une des scènes les plus révoltantes de ce transitus innoxius. Le roi est obligé de soustraire les papiers d’un état neutre, il ordonne de les saisir, il fait forcer les caisses, briser les serrures… Ne semble-t-il pas, à l’entendre, que ce soit la chose la plus naturelle du monde ? Et en présence de ces effractions, que dites-vous de la surprise causée au royal larron par le peu de complaisance de la reine ? Les procès-verbaux que publie M. de Vitzthum nous rendent la scène dans toute sa brutalité. La reine de Pologne était restée à Dresde après le départ du roi pour le camp de Pirna ; on avait espéré que la présence d’une princesse auguste, moins respectable encore par son rang que par ses vertus, inspirerait quelque retenue aux Prussiens, s’ils osaient, au mépris de tous les droits, occuper militairement la capitale. Les Prussiens, avant même d’avoir bloqué l’armée saxonne, avaient pris possession de Dresde. Frédéric, arrivé dans la matinée du 9 septembre avec plusieurs bataillons, avait immédiatement envoyé un de ses aides-de-camp saluer la reine de sa part, disant qu’il serait venu lui-même, s’il n’avait craint qu’en de telles circonstances sa visite ne fût importune, et promettant que la dignité de la reine n’aurait pas à souffrir la plus légère atteinte. La reine, quoique prisonnière en son palais, conservait un semblant d’autorité. Il avait été expressément convenu que la garde suisse continuerait à faire exclusivement le service intérieur du château. Or, quelques heures après, trois patrouilles prussiennes viennent s’établir à la porte de la chancellerie secrète, avec ordre de ne laisser entrer ni sortir personne. Sur les plaintes de la reine, le commandant des grenadiers prussiens, M. de Vangenheim, arrive au palais, chargé d’une communication pour tous les secrétaires de la chancellerie. « Le roi mon maître, leur dit-il, a décidé que les papiers de la chancellerie saxonne resteraient dans l’état où ils sont, que nul ne devait y toucher, soit pour ajouter, soit pour enlever quoi que ce fût. Nous avons placé ici des sentinelles pour assurer l’exécution de cet ordre ; nous les ferons sortir, si l’on consent à nous livrer les clés de toutes les portes, de tous les bureaux, les clés de