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ne demandèrent qu’à en finir par les armes, tant que la lutte fut possible. En vérité, ce ton méprisant sied-il au personnage qui, violant un territoire ami et se moquant de ses propres déclarations, ne rougissait pas d’opposer soixante-dix mille combattans à dix-huit mille hommes indignement provoqués ? N’avait-on point le droit de lui renvoyer l’injure ? De quel côté étaient le courage et l’honneur ? Frédéric se contentait de bloquer les Saxons, déclarant leur position inattaquable ; lorsque Napoléon, cinquante ans plus tard, visita le camp de Pirna, il découvrit neuf endroits qui eussent donné prise à l’assaut. Un peu plus de modestie aurait donc convenu en cette circonstance à l’historien de la guerre de sept ans. Si Auguste III écrivait lettres sur lettres à Frédéric et à l’impératrice, c’est que, malgré ses sympathies pour l’Autriche, il avait résolu de rester neutre. Le coupable ici, ce n’est pas le malheureux roi surpris par l’invasion et tâchant de maintenir la neutralité de la Saxe ; ce n’est pas le maréchal Rutowski, partagé entre ses instincts de soldat et ses devoirs de chef ; ce ne sont pas tous ces braves généraux impatiens de combattre et obligés de se rendre pour sauver l’armée : le vrai coupable, c’est le comte de Brühl, le favori qui avait confisqué l’esprit du souverain, le ministre indolent qui, par sa politique au jour le jour, sans plans, sans idées, sans principes, avait excité les défiances de la Prusse et n’avait pas su se ménager à temps l’appui de Marie-Thérèse.

Ainsi le roi de Pologne, prisonnier dans son camp, ne sortait de son morne silence que pour rédiger des missives. Grâce à M. de Vitzthum, nous avons aujourd’hui toutes ces lettres si curieuses du mois de septembre 1756. C’est le moment où le roi fainéant se relève ; sur cette molle figure éclate par instans une sorte de lueur. Au contraire quelle perfidie et quelle dureté dans les lettres de Frédéric ! Auguste a écrit, le 13 septembre, une page qui peut se résumer ainsi : « Vous voulez détruire mon armée par la disette ou par le fer ; nous ne craignons ni l’une ni l’autre. Considérez d’ailleurs et votre rôle et le mien ; songez à notre dignité commune et respectons la justice. Je fais et je veux tout faire pour m’entendre avec votre majesté sur l’unique point qui l’occupe, pourvu que je puisse le faire avec honneur. » C’est-à-dire : « Traversez mes états suivant le droit impérial, allez faire la guerre à l’Autriche, ni aujourd’hui ni demain je ne me mêlerai de vos querelles, et, quelle que soit l’issue de la lutte, vous n’aurez rien à redouter de la Saxe. Promesses, traités, garanties, vous obtiendrez de moi tout ce que vos intérêts exigent ; ne me demandez rien de plus, n’espérez pas me contraindre à une alliance avec vous contre l’empire ; l’honneur me le défend. » Mais c’est là précisément ce que réclame Frédéric ; forcé