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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/875

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troupes de Hollande. Cela fera une armée respectable dont il faudra régler la destination au plus tôt. Rien n’égale le zèle avec lequel la nation française soutient les magnanimes résolutions de son roi… »

Oui, certes, l’émotion était vive. On peut lire dans le Journal de Barbier, aux mois de septembre et octobre 1756, la confirmation des paroles de M. de Kaunitz. La dauphine, mère de l’enfant qui sera un jour Louis XVI, était fille du pauvre roi enfermé dans Pirna et de la malheureuse reine prisonnière à Dresde. À part même les questions de personnes, le sentiment du droit était assez éveillé déjà pour que les procédés de Frédéric révoltassent la royauté française. « Le roi de Prusse, écrit l’annaliste parisien, est entré avec quarante ou cinquante mille hommes dans les états de l’électeur de Saxe, roi de Pologne, qui ne lui disait rien, et, sans aucune déclaration de guerre, il s’est emparé de la ville de Leipzig dans le temps de la fameuse foire ; il y a mis garnison. Il perçoit à son profit tous les droits et profits de cette foire, qui sont considérables, et il marche du côté de la Bohême. Ce procédé a paru fort irrégulier et contre le droit des gens ; il fait sur terre ce que les Anglais ont fait sur mer. On l’appelle le Mandrin couronné… » Qu’on lise à la même date la correspondance de Voltaire, on verra que Ferney et Paris vibraient à l’unisson. Le souvenir de l’aventure de Francfort (1753) donne aux paroles du philosophe un accent plus amer. Est-ce lui qui emprunte, est-ce lui qui prête aux Parisiens ce mot de « Mandrin couronné ? » Je ne sais ; une chose certaine, c’est qu’il s’associe de cœur aux colères de l’opinion publique. Il s’excuse de ses anciennes « coquetteries » avec le Vandale, il se déclare « un serviteur de Marie ; » enfin le 13 septembre, au moment où se passent les scènes que nous venons de raconter, il écrit avec une joie qui sent la guerre : « On dit que Marie-Thérèse est actuellement l’idole de Paris, et que toute la jeunesse veut s’aller battre pour elle en Bohême. » Généreux élans de la justice irritée ! M. de Kaunitz a bien raison de dire que rien n’égale ces vivacités françaises.

Mais quoi ! tout cela n’était que des promesses ; il s’agit bien d’espérances lointaines quand le danger est là, terrible, inexorable, quand chaque jour voit diminuer les rations, quand hommes et chevaux vont mourir de faim ! C’est seulement à la fin du mois de septembre que le maréchal de Broune commence les opérations dont le succès peut débloquer l’armée saxonne. Une grande bataille, la première journée de la guerre de sept ans, est livrée le 1er octobre à Lowositz, au pied des montagnes de Bohême. Prussiens, Autrichiens, avec une égale ténacité, se sont canonnés pendant huit