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heures, et le lendemain Frédéric transporté de joie écrit à un de ses maréchaux : « Je ne vous dirai rien des troupes, vous les connaissez ; mais depuis que j’ai l’honneur de les commander je n’ai jamais vu de pareils prodiges de valeur, tant cavalerie qu’infanterie… Ceci fera rendre les Saxons. »

La victoire des Prussiens n’avait pas été aussi complète que l’annonce Frédéric dans sa lettre au maréchal de Schwerin. Des documens autrichiens et saxons publiés aujourd’hui par M. de Vitzthum il résulte que dans ce terrible choc l’armée du roi de Prusse fut plus cruellement décimée que l’armée impériale. Ce n’était donc ni un triomphe, comme les Prussiens le répétaient avec fracas, ni une victoire postiche, comme l’affirmait un publiciste allemand dans une brochure qui fit scandale à Berlin ; de l’avis des meilleurs juges, ce fut une journée indécise. Le maréchal de Broune, malgré ses pertes, sut maintenir sa position ; les chemins qu’il avait occupés pour diriger sa marche sur Pirna lui demeuraient ouverts. Il faut bien reconnaître cependant qu’une journée indécise pour les armes autrichiennes était une journée fatalement décisive pour les Saxons ; la défaite, la déroute de Frédéric pouvait seule les délivrer de ce cercle de fer que chaque jour resserrait autour d’eux. Que d’obstacles encore, après cette journée de Lowositz, entre les impériaux et les prisonniers de Pirna ! Tandis que M. de Broune se ravitaille avant de reprendre sa marche, on compte les jours et les heures dans le camp des affamés. Un plan de jonction est combiné ; la même nuit, à la même heure, les Saxons traverseront l’Elbe et forceront les lignes ennemies, attaquées de flanc par les impériaux. « Je ne serai prêt que le 11 octobre, écrit M. de Broune, et si vous pouvez tenir un, deux, trois jours de plus, quatre jours même, jusqu’à la soirée du 15, vous me rendrez grand service. J’ai tant de détours à prendre et par des chemins si rudes ! » — « Impossible, répond le maréchal Rutowski, nos dernières provisions s’épuisent ; tout ce que nous pouvons faire, c’est d’attendre la nuit du 11 au 12 ; à minuit, nous attaquerons les postes prussiens. » Il fallut toutefois, par suite d’un accident imprévu, retarder de vingt-quatre heures encore l’exécution du projet. Enfin le 12 octobre est arrivé ; le roi a transféré son quartier-général de Struppen à Thürmsdorf, pour y attendre que l’armée ait passé sur la rive droite de l’Elbe.

Les troupes se mettent en marche à minuit. Le ciel est noir et la pluie tombe à torrens. Enveloppés dans la tempête, les Saxons se trouvent cachés aux regards des sentinelles ennemies ; mais que de difficultés nouvelles ajoutées par l’orage aux périls d’une telle entreprise ! Quand on a passé les ponts jetés à la hâte, il faut escalader