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soirée, elle venait de dicter trois lettres, la première à Marie-Thérèse, les deux autres aux deux généraux qui venaient d’être si misérablement battus par Frédéric à Rosbach (5 novembre), le prince de Saxe-Hildburghausen et le prince de Soubise ; au moment où elle recopiait de sa main la missive destinée à l’impératrice-reine, un malaise violent la saisit ; elle s’arrêta sur ces mots le bon Dieu… et quelques heures après, vers le milieu de la nuit, elle expira. Le sang de ce noble cœur, soulevé par tant d’orages, avait fait irruption au cerveau[1].

Trois semaines plus tard, un de ceux qui l’avaient servie le plus loyalement, le général de Vitzthum, écrivait à un ami : « Vous connaissiez la reine ; ce n’est pas à vous que j’ai besoin de faire son éloge, ni de signaler ses défauts. Les catholiques la vénèrent comme une sainte, et elle a tout fait pour justifier ce titre. Les protestans l’ont accusée de bigoterie, de prosélytisme, et peut-être n’est-ce pas sans raison. Une chose certaine, c’est que ses intentions ont toujours été irréprochables. Elle cherchait loyalement la vérité ; il se peut qu’elle ne l’ait pas trouvée toujours. Elle était fidèle à ses devoirs et n’en a transgressé aucun de propos délibéré. Ses dernières années ont été abreuvées d’amertume. Le roi de Prusse ne l’a pas traitée en souveraine ; il s’est comporté envers elle comme on le ferait à peine avec une vivandière prise au milieu d’une armée ennemie. Il n’y a point d’avanie qu’on ne lui ait infligée par son ordre. A la suite de tant de chagrins, il lui est venu au côté une douleur qui a causé sa mort. Elle m’a toujours dit que le roi de Prusse lui avait brisé le cœur. La honte d’un pareil traitement est pour le roi de Prusse lui-même. Un souverain devrait se respecter dans la personne d’un autre souverain ; mais Frédéric II se met au-dessus de tout, et paraît oublier que son tour pourrait bien venir. »


III.

On nous rendra cette justice, que nous n’avons pas atténué l’acte d’accusation dressé par l’historien ; la première année de la guerre de sept ans nous a livré tous ses secrets, les violences et les indignités de Frédéric II sont mises à nu. Si la Prusse du XIXe siècle

  1. Barbier, d’après les bruits de Paris, attribue à la journée de Rosbach le coup suprême qui emporta la reine de Pologne. Frédéric aurait fait célébrer à Dresde, sous les yeux de l’auguste malade, d’insultantes réjouissances au sujet de sa victoire : ces cris, ces chants, ces décharges d’artillerie auraient déterminé la dernière explosion du mal. Voilà un trait qui manque aux détails navrans rassemblés par M. de Vitzthum. Si le fait n’est pas exact, le récit de l’annaliste prouve du moins quelle idée on avait à Paris de l’insolence du vainqueur.