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lacs fournissent au Nil le moins d’eau ; mais, par une circonstance assez singulière, un affluent considérable, le Sobat, qui se trouve entre les régions équatoriales et abyssines, qui a sa source à l’est dans des contrées inconnues, déborde à cette époque et maintient le Nil-Blanc à sa hauteur normale. Le Nil périodique, qui s’étend comme une couche liquide sur le sol de l’Egypte, ne doit son existence et sa vertu fécondante qu’à l’Abyssinie. La saison pluvieuse, ainsi que nous l’avons dit plus haut, n’y dure que trois mois pleins, de juin en septembre ; mais la quantité supplée à la durée. Ces pluies sont subites et diluviennes ; en un moment, le plus petit ravin devient un impétueux torrent, et le lit desséché d’une rivière un cours d’eau de première grandeur. C’est une irruption où cet élément déploie une puissance irrésistible. Il entraîne tout sur son passage. Il enlève, brise, décompose des matières de toute espèce, minérales et organiques, et les transforme en cet humus qui est de toute antiquité la source inépuisable de la richesse de l’Egypte.

Le plateau où se trouve la source du Nil est élevé de 4,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Formé de granit et de grès, il n’a jamais, au dire de M. Baker, subi d’action neptunienne ni ressenti de mouvement volcanique. L’action lente, incessante, des élémens atmosphériques a depuis des siècles sans nombre émoussé les aspérités, arrondi les surfaces, émietté les roches, et laissé de toutes parts un fond de particules désagrégées mêlées à des blocs granitiques. Sur ce plateau s’élève un système de montagnes qui doit se développer de l’est à l’ouest comme les vertèbres d’un mammifère et fournir les élémens d’une puissante irrigation au nord et au sud. Ce plateau n’ayant jamais été submergé[1], les animaux qu’on y rencontre doivent être les plus anciens qui se trouvent sur la terre, et la race qui l’habite a sans doute précédé la création adamique. Il faut certainement voir une preuve de cette antiquité dans l’absence de certaines idées qu’on ne trouve nulle part dans ces contrées. Le nègre de l’Afrique centrale n’a pas la plus légère notion d’un être suprême, cause première de l’univers, et son intelligence se refuse à la concevoir. Le sentiment de l’adoration lui est inconnu. Il ne possède aucune idole ou représentation d’une divinité quelconque. Pour lui, l’immortalité est purement généalogique, la survivance de l’être individuel n’a lieu que par les enfans. S’il se livre à quelque acte superstitieux, s’il immole des oiseaux, c’est pour chercher dans leurs mouvemens convulsifs des pronostics relatifs aux intérêts vulgaires de la vie ; mais aucune idée essentiellement

  1. Nous ne faisons que rapporter ici les observations de M. Baker ; nous les croyons prématurées.