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mais qui sera utile même aux savans, grâce à une foule de détails tout pratiques qui révèlent un collectionneur consommé, M. Maurice Sand a su éviter très habilement les allures fatigantes de l’enseignement dialogué. Il faut beaucoup de goût et de talent pour lutter avec succès contre les difficultés que comporte cette forme; le savoir-faire d’un auteur dramatique n’est pas de trop, si l’on veut que le lecteur se laisse ainsi instruire par procuration. En effet, lorsque dans un livre le discours se trouve remplacé par la conversation, il arrive souvent que les questions destinées à amener les réponses impatientent le lecteur, dont la pensée va plus vite que le personnage de fantaisie chargé de le représenter. M. Maurice Sand a tourné cet écueil de la façon la plus heureuse, ses personnages sont des gens d’esprit qui ne disent pas de banalités, et leur conversation est aussi agréable à entendre que s’il s’agissait de tout autre chose que de l’élevage des chenilles ou de la classification des papillons. De charmans petits dessins à la plume égaient le texte de temps en temps et reposent la vue. Cette partie de l’ouvrage se termine par un almanach du chasseur de chenilles, où l’on trouve, pour chaque mois, l’indication des espèces que l’on peut cueillir sur les différens arbres et sur les herbes, et par un tableau synoptique des diverses classifications de l’ordre des lépidoptères. La seconde partie de l’ouvrage, l’histoire naturelle des papillons d’Europe, est due à un naturaliste distingué, M. A. Depuiset, et suffira aux besoins des amateurs qui voudront former des collections. Cinquante planches coloriées qui représentent près de neuf cents sujets (papillons-chenilles-chrysalides-plantes), un catalogue systématique des genres connus, avec des descriptions remarquablement claires et concises, c’est bien tout ce qu’il faut pour guider les premiers pas d’un apprenti entomologiste. M. Maurice Sand s’est chargé de captiver ses lecteurs et d’amener des recrues au camp; M. Depuiset a pris sur lui de fournir les armes et bagages.

C’est une étrange erreur de croire que l’observation soit chose froide, dénuée de poésie et d’émotion; froide est la paresse qui refuse d’ouvrir les yeux, sans poésie l’indolence blasée qui dédaigne les avances que lui fait la création, sans émotion l’apathie de l’incurieux qui passe indifférent à tant de merveilles! L’attrait des sciences naturelles va toujours croissant à mesure que l’on entre plus avant dans les détails intimes de la vie des êtres, et le classement des trésors qu’on découvre à chaque pas devient un plaisir qui passionne. La vague contemplation des beautés de la nature est inféconde; artistes et poètes ne peuvent que gagner à voir clair dans le monde réel et à peupler leur imagination de formes nettes, de contours précis, au lieu de se cloîtrer obstinément dans un brouillard d’images indécises et confuses. Goethe, on le sait, était naturaliste et observateur; mais combien d’écrivains célèbres dont les œuvres fourmillent d’hérésies scientifiques qui n’ajoutent absolument rien aux beautés de style! Il faut protester contre le préjugé qui veut que les connaissances positives soient inutiles pour