réussir dans les arts ou dans la littérature, et même qu’elles dépoétisent la nature. « C’est là, dit George Sand dans la préface qui accompagne le Monde des papillons, c’est là que nous sommes tous vraiment très coupables et très ingrats envers le divin auteur des choses, car, sans croire qu’il les ait faites absolument pour nous, nous devrions sentir qu’en nous donnant la faculté de comprendre la richesse et la beauté de son œuvre, il nous a fait un très beau présent, et c’est toujours être ingrat et mal appris que de laisser dans un coin, sans y regarder jamais, une magnifique chose qui nous a été magnifiquement donnée. »
Beaucoup de personnes s’imaginent volontiers que la nature a besoin d’être fardée et défigurée pour devenir poétique. Il me semble que la vie des animaux n’est jamais plus intéressante que lorsqu’elle est racontée simplement, comme dans les ouvrages de Réaumur sur les insectes, ou dans ceux des deux Huber sur les abeilles et sur les fourmis. Il sera même permis de croire que les fables de La Fontaine n’auraient rien perdu au point de vue poétique, si l’auteur avait été un peu plus familiarisé avec les habitudes et les mœurs des animaux qu’il met en scène. Prenons, par exemple, la célèbre fable de la Cigale et de la fourmi. Quand la bise vient, la cigale se trouve fort dépourvue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau...
Or la cigale n’est pas carnassière, elle se nourrit exclusivement de la sève
des arbres. D’un autre côté, si elle va crier famine chez la fourmi,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister,
elle connaît bien mal sa voisine, car la fourmi n’est pas grainetière de son
état; elle vit de substances animales, de fruits, de miel, et préfère à tout
les liquides sucrés. Eût-elle d’ailleurs des grains de blé à offrir à la cigale,
celle-ci n’en aurait que faire. Du reste il est même douteux que La Fontaine
ait voulu parler ici de la vraie cigale; il avait peut-être en vue la grande
sauterelle verte, qu’on appelle à tort la cigale dans le nord de la France,
car les figures qui ornent les anciennes éditions de ses fables représentent
toujours une sauterelle. Cette erreur est très répandue; dans l’ouvrage intitulé les Insectes, qui vient de paraître, M. Figuier nous dit qu’à l’exposition des beaux-arts on a vu cette année un tableau de M. Aussandon, la Cigale el la Fourmi, où la cigale était une magnifique sauterelle vert-pomme. Ces deux insectes appartiennent cependant à deux ordres parfaitement distincts; la cigale est un hémiptère, la sauterelle un orthoptère;
elles n’ont de commun que le chant, ou plutôt le bruit désagréable qu’elles
produisent avec les cymbales dont la nature les a dotées. La sauterelle,