Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/407

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malheurs de la guerre conduisirent à une paix « aussi désavantageuse qu’indispensable, » et la paix elle-même laissait la France épuisée, isolée en Europe, asservie à une alliance exclusive qui, en enchaînant sa politique, sous une vaine apparence de sécurité ne garantissait que la sécurité et la liberté de l’Autriche. Toutes les charges étaient pour la France, qui mettait au service de la cour de Vienne son influence, son crédit, ses subsides, ses armées; tous les avantages étaient pour l’Autriche, qui, rassurée en Italie, fortifiée en Allemagne, se sentait plus libre pour maintenir son ascendant. La seule compensation possible pour la politique française eût été de trouver dans l’alliance autrichienne un moyen d’exercer dans les affaires du nord une action conforme à ses intérêts. C’est de là au contraire que lui vint la plus dure et la dernière déception.

Alors en effet se produit un phénomène singulier. — D’un regard pénétrant Frédéric vit bientôt ce qu’il y avait de faux dans cette situation, ce que pouvait permettre ce désordre diplomatique de l’Europe; il comprit qu’appuyé sur la Russie, cherchant d’accord avec elle un aliment nouveau pour son ambition, il pouvait tout faire, s’il réussissait à détacher l’Autriche de l’alliance française, à l’engager dans une entreprise commune avec la Russie et la Prusse; la France dès lors ne pourrait plus rien sous peine de se trouver en face des trois puissances réunies. La cour de Vienne de son côté ne songeait guère qu’à se servir de l’alliance française pour contraindre ses terribles voisins à compter un peu plus avec elle. Ce fut l’origine du partage de la Pologne, et ce fut l’art diabolique de Frédéric de conduire l’Autriche au point où elle paraissait céder à une nécessité extrême, de l’enfermer comme dans un étau entre la séduction grossière d’une part de butin, de sa part au gâteau, selon le mot de Louis XV, et la crainte d’une guerre nouvelle avec la Prusse et la Russie.

Il faut tout dire d’ailleurs : dans cet enchaînement de conséquences humiliantes pour la politique française, peut-être y eut-il un moment, dans les premiers temps de la confédération de Bar, où on aurait pu encore détourner la catastrophe. L’Autriche flottait comme elle flotte toujours, comme elle flotta dans la dernière insurrection polonaise, avant de se rendre aux bons conseils de M. de Bismark. Elle contrariait assez les confédérés pour s’en faire un mérite à Berlin et à Saint-Pétersbourg; elle les aidait assez pour ne pas se séparer complètement de la France, qui les encourageait au moins en paroles. Elle tenait assez à l’alliance française pour ne pas la rompre ouvertement en se jetant dans une aventure; elle était assez tentée pour écouter au moins les propositions qu’on lui faisait. M. de Choiseul ne s’y méprit pas; mais il crut qu’on ne ferait rien, et il disparut de la scène assez tôt pour laisser au due