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d’Aiguillon l’ennui d’être trompé jusqu’au bout. Le comte de Broglie, l’homme de la politique secrète, perçait sûrement le double jeu de l’Autriche lorsqu’il disait à Louis XV au sujet de la Pologne et des confédérés : « Le remède à tout cela ne serait peut-être pas si difficile, si la cour de Vienne désirait le bien de cette malheureuse nation; mais je soupçonne qu’elle l’aime mieux débellée que victorieuse; elle sera plus dans le cas de subir la loi qu’on voudra lui faire, et c’est là l’attitude où ses ambitieux voisins la désirent... »

Le remède n’était point impossible en effet, mais à une double condition : la France devait parler clairement, nettement à l’Autriche, et en même temps elle devait lui montrer le chemin, lui donner le signal de l’action, sans lui laisser la ressource des subterfuges et des temporisations. Malheureusement la France elle-même en était à ce point où elle ne savait plus ce qu’elle voulait, où le duc de Choiseul ne croyait pas au danger, où le duc d’Aiguillon ne le voyait pas, et où Louis XV affaissé n’aspirait qu’au repos. A un certain moment, le prince Charles de Lorraine était venu à Versailles pour sonder le roi et voir ce qu’on voulait réellement faire pour la Pologne. Louis XV éluda tout engagement, et en parlant de cette entrevue au comte de Broglie il lui disait : « M. le prince Charles m’a parlé hier dans son audience; il a remis de grands mémoires à M. de Choiseul. Les secours d’hommes sont impossibles, ceux d’argent bien difficiles, et l’emploi un peu douteux. Quand nous aurons vu les mémoires, nous verrons ce qu’il sera possible de faire pour la Pologne. » Et effectivement on n’agit que d’une façon décousue. L’Autriche comprit que de la part de la France il n’y aurait que des démonstrations inutiles, rien qui ressemblât à une action décisive, qu’à défaut de la France aucune autre puissance ne remuerait, — et l’évolution de la cour de Vienne fut accomplie.

Quand tout fut fini, Louis XV écrivit à un des agens de la correspondance secrète : « Je ne veux point de guerre, je m’en suis assez expliqué. A cinq cents lieues, il est difficile de secourir la Pologne. J’aurais désiré qu’elle fût restée intacte, mais je ne puis y rien faire que des vœux... Il faut tenir une conduite bien sage et laisser pendant quelque temps les choses... » C’est ce qui pouvait s’appeler prendre son parti en sage ; mais alors pourquoi passer vingt ans à s’agiter dans le vide, à se préparer une défaite? Pourquoi se créer une politique secrète, faire jouer tous les ressorts, semer les subsides, multiplier les agens, promener son action de Constantinople à Berlin, de Varsovie à Vienne et à Saint-Pétersbourg? Pourquoi pendant vingt ans fixer la Pologne pour but à cette politique? On a dit bien souvent que cette catastrophe polonaise était inévitable : elle le devint parce qu’on ne fit rien pour l’éviter. Au premier moment, il était trop tôt; au dernier moment,