Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’arrière, nul ne s’en sert que par nécessité, et aucun capitaine ne l’honorera de ses affections. En revanche, l’admiration est sans mélange pour le touriste qui contemplera du large le magique panorama de l’île se dégageant peu à peu des voiles du matin, soit que, venant d’Europe, il n’ait vu depuis Suez que les arides rochers d’Aden, soit même que, sortant du détroit de Malacca, il lui prenne fantaisie de se croire blasé sur les splendeurs de la flore tropicale. Le tableau d’ailleurs change de caractère : la mer est bien toujours du même bleu de saphir qu’à Pinang, et le rivage s’y reflète de même, paré d’une éternelle verdure; mais on aime à retrouver ici les montagnes, qui font défaut à la nature molle et un peu efféminée des paysages de la Sonde, et c’est avec plaisir que l’on voit s’étager dans l’intérieur les imposantes assises du massif de Kandy, dominées par le pic d’Adam à la cime perdue dans les nuages.

Nous mouillons à Ceylan peu après l’époque impatiemment attendue du changement de mousson. Ce passage d’une saison à l’autre y est toujours accompagné d’une de ces gigantesques convulsions des élémens qu’il faut avoir vues pour s’en faire une idée. Les semaines qui précèdent sont les plus intolérables de l’année; bien que rien n’y rappelle l’engourdissement universel qui signale l’approche de notre hiver, bien que la chute des feuilles soit inconnue sous ces latitudes, on sent néanmoins que la végétation s’est ralentie à la suite des longues sécheresses, dont tous les êtres animés, depuis l’homme jusqu’à l’insecte, ressentent également l’influence énervante. L’herbe séchée et jaunie se couvre d’une poussière rougeâtre; le ciel prend des teintes plombées; nul souffle ne rafraîchit l’atmosphère embrasée, et chacun se sent oppressé par l’attente de la révolution qui va s’accomplir. Les regards alanguis se tournent instinctivement vers l’immensité de l’Océan austral; c’est de là que doit venir la vivifiante brise de sud-ouest, dont on épie avec anxiété les symptômes précurseurs amoncelés le soir en épais nuages à l’horizon. Un jour arrive enfin où la nue envahit entièrement le ciel, et où la mousson éclate par un de ces orages grandioses dont on est presque effrayé quand on en est témoin pour la première fois. Les coups de tonnerre se succèdent sans intermittence, et les traces du terrible fluide se retrouvent ensuite dans le sol en trous bifurques de vingt pieds de profondeur. La pluie est telle que quelques heures suffisent à lui donner les proportions d’un déluge, à changer les rivières en torrens, et à les faire déborder sur toute l’étendue de la plaine. Cette crise formidable est suivie d’une bienfaisante période d’ondées alternées de soleil, qui font subir à l’île en quelques jours une métamorphose dont on suit les progrès à vue d’œil. Arbres et plantes, tout renaît à la vie; les oiseaux re-