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le système qui devrait être économique devient onéreux. Si au contraire vous abrégez beaucoup le temps du service, les militaires vous diront que vos réserves n’ont pas fait un apprentissage suffisant, et que votre armée manquera de cohésion et de solidité.

Cette difficulté s’est présentée en Prusse comme ailleurs, et on l’a évidemment éludée en multipliant d’une façon assez arbitraire les exemptions, les ajournemens, les non-valeurs. En 1862 par exemple, sur 1,000 jeunes gens examinés, on en a laissé de côté 124 absens avec ou sans permission. Une trentaine dont les infirmités étaient visibles ont été immédiatement congédiés ; 82, supposés de constitution faible, ont été classés immédiatement dans la réserve. Pour 373 autres, la décision a été ajournée à un an après une seconde visite. 26 ont été admis à l’engagement volontaire d’un an, au lieu de deux, à charge de fournir leur équipement. Bref, 116 conscrits ont été déclarés aptes au service, et sur ce nombre 105 seulement ont été versés tout de suite dans les corps de l’armée soldée. Ces renseignemens sur la prétendue universalité du service prussien ont une portée politique qui paraît avoir échappé jusqu’ici à l’attention du public.

En ce qui concerne la France, le point sur lequel il faut d’abord s’entendre est celui de l’apprentissage militaire. Combien faut-il de temps pour former un cavalier, un fantassin, un artilleur ? Si vous rassemblez en comité des illustrations guerrières, elles vous répondront comme si le soldat était un virtuose ne devant arriver que par une longue pratique aux finesses de son art. Transportez-vous dans un pays où chacun prend sa part de responsabilité dans les affaires publiques, où existe le droit de réunion, où le port des armes n’est pas interdit aux particuliers, on vous dira qu’il faut deux mois pour faire du citoyen un soldat. En Suisse par exemple, la règle exige 28 jours pour former les recrues au maniement du fusil, et 4 jours de grand exercice pendant les années suivantes, en tout 52 jours pour toute la durée du service dans l’élite, c’est le nom donné à l’armée active : cela paraît un peu court, il faut l’avouer, et cependant trouverait-on un général des grandes armées permanentes qui se chargeât d’envahir la Suisse à nombre égal d’hommes ?

La vérité est que les aptitudes militaires se développent au sein des peuples dans un certain rapport avec le milieu politique et la destination des armées. Dans les pays organisés seulement pour la défense, où l’on ne s’émeut que pour des intérêts évidens et généralement sentis, on peut abréger l’apprentissage des armes : chacun sait ce qu’il ferait au besoin, et ce que son voisin ferait comme lui. Cette confiance réciproque suffit à la sécurité commune.