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40,000 hommes, serait constamment exposé à partir, sans autre formalité que le simple appel du ministre de la guerre pour combler les vides. Cette disposition est celle qui a le plus soulevé l’opinion publique contre le projet, parce qu’elle portait en réalité le contingent annuel à 120,000 hommes.

Ici doit prendre place une observation applicable non-seulement au défunt projet de la haute commission militaire, mais à presque toutes les combinaisons dont on a entretenu le public en ces derniers temps. On accepte comme irrécusables les données du Moniteur, on suppose que les 325,000 jeunes Français qui tous les ans atteignent l’âge de vingt ans fournissent 160,000 individus valides, et on classe ceux-ci sans plus d’examen dans l’armée de terre. Or nous avons vu précédemment que l’armée de terre, déduction faite de toutes les exemptions garanties actuellement par la loi, ne peut disposer annuellement que de 132,000 jeunes gens. On pourrait à la vérité se rapprocher du chiffre de 160,000 en revenant sur les dispositions tutélaires de 1832, et saisir un assez grand nombre de conscrits en abaissant encore le niveau de la taille ou en retirant les dispositions prises dans l’intérêt des familles. On commence à dire que des hommes très petits ont souvent plus de vigueur et de prestesse que de plus grands : cela est vrai ; on entend dire aussi que des conscrits fiévreux dans leurs villages ou goitreux dans les montagnes se guériraient dans les régimens. Suivant quelques personnes, les fils de veuves, les frères de militaires en service ou morts sous les drapeaux ne devraient pas être indistinctement exemptés : il y a encore du vrai dans tout cela ; mais il est prodigieusement difficile en ces matières de poser une limite certaine, et, si l’on doit faire erreur, il vaut mieux accorder plus que moins aux intérêts de famille. Chacun sentira d’ailleurs qu’on n’essaierait pas d’abolir les exemptions consacrées par une longue habitude, tenues pour un droit jusque dans les plus humbles chaumières, sans remuer profondément le pays : on ne pourra modifier à cet égard la loi de 1832 qu’en généralisant d’une manière absolue l’obligation de passer sous les drapeaux et en abrégeant de beaucoup la durée du service, conformément au système prussien.

En prenant pour base une disponibilité de 160,000 hommes, le Moniteur nous promettait, après une rotation de six années, une force militaire active dépassant 800,000 hommes, et une garde nationale mobilisable d’à peu près 400,000 hommes, — en tout 1,232,215 soldats. Tel est le chiffre opposé fièrement à la landwehr allemande[1]. Avec l’autre estimation, celle de 132,000 hommes,

  1. Le Moniteur, en proposant l’incorporation annuelle de 160,000 hommes, n’a donné aucune explication de ses chiffres, et il est difficile de s’en rendre compte. L’autre hypothèse, celle qui réduit le contingent à 132,000 hommes, suppose un effectif réel, un produit net à verser dans l’armée de terre. Voici au surplus la comparaison de cette dernière donnée avec les chiffres du Moniteur.
    Armée active. Réserve du premier ban. Réserve du second ban. . . . Garde nationale mobile Corps ne provenant pas des appels (états-majors, engagés volontaires, gendarmerie, ouvriers militaires).
    Incorporation de 160,000 hommes (suiv. le Moniteur) Incorporation de 132,000 hommes (effectif réel)
    Armée active 417,483 346,000
    Réserve du premier ban 212,373 191,000
    Réserve du second ban 212,373 191,000
    Garde nationale mobile 389,986 366,000
    Corps ne provenant pas des appels (états-majors, engagés volontaires, gendarmerie, ouvriers militaires) « 85,000
    1,232,215 1,179,000


    De part et d’autre, on a tenu compte de la probabilité des décès dans un roulement de neuf années, durée totale du service.