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points remarquables qu’il était facile de reconnaître ensuite sous d’autres aspects. Ces gisemens croisés lui ont fourni un premier canevas de la carte ; il a pris ensuite pour stations les points déterminés par les premiers relèvemens, et, un triangle donnant l’autre, il a fini par fixer d’une manière certaine toutes les étapes de la levée du pays.

Ce que M. d’Abbadie a fait est donc un travail original, un travail sans précédent jusqu’alors dans les annales des voyages. Il serait injuste de le mettre en comparaison avec ces travaux d’amateur que la plupart des voyageurs exécutent par occasion, et qui servent de fondement à leurs esquisses de route. Comment fait-on d’habitude pour dresser l’itinéraire d’un voyage en pays inconnus ? Les distances sont évaluées approximativement par journées de route, c’est-à-dire par le temps de parcours moyen. Si l’on peut, on relève la direction du chemin à l’aide d’une boussole ; va-t-on dans la direction du point de l’horizon vers lequel pivote l’un des pôles de l’aiguille aimantée, on sait que la route conduit au nord ou au sud ; si elle fait un angle droit avec l’axe de l’aiguille, on sait qu’elle vous conduit vers l’est ou vers l’ouest. Malheureusement la boussole est un instrument capricieux ; le méridien magnétique, dont l’aiguille indique la direction, varie sans cesse sous l’influence de causes inconnues. Ce qui est plus grave, il faut toujours s’attendre à des perturbations locales qu’il est impossible d’apprécier ; des masses ferrugineuses cachées sous le sol peuvent faire dévier l’aiguille aimantée de sa direction normale de manière à rendre toute observation illusoire. M. d’Abbadie a fait un grand nombre de relèvemens à la boussole, mais seulement pour connaître les déviations irrégulières de l’aiguille, et non pour déterminer les directions des objets relevés. Ces directions ayant été fixées astronomiquement, la comparaison permet de se rendre compte des erreurs de la boussole, erreurs qui sont quelquefois de vingt degrés et plus. On voit par là combien les relèvemens magnétiques méritent peu de confiance, et on comprend pourquoi les itinéraires de deux voyageurs qui ont fait la même route présentent quelquefois des écarts en apparence inexplicables.

À ces données si incertaines et si grossières, les voyageurs qui ont quelque teinture d’astronomie ajoutent de loin en loin une latitude observée au sextant, ou même une longitude obtenue par une observation de la lune. Dans ce cas, le travail se complique déjà considérablement, car il faut encore avoir un chronomètre bien réglé et déterminer de temps à autre l’heure locale. MM. Ferret et Galinier, qui ont parcouru une partie de l’Abyssinie de 1840 à 1843, ont obtenu de cette manière neuf latitudes et quelques longitudes qui sont devenues les fondemens réels de la carte qu’ils ont publiée.