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prouvé qu’il n’avait point entièrement tort lorsqu’il croyait voir quelque chose de factice dans le mouvement qui prenait Rome pour but immédiat et exclusif. La convention du 15 septembre, avec toutes ses inévitables conséquences, devait donc plaire à d’Azeglio, puisqu’il l’avait d’avance ébauchée ; mais ici encore, en approuvant cette convention qu’on allait lui communiquer à la campagne, il trouvait qu’elle n’avait pas été bien faite, qu’on n’avait rien « prévu ni rien préparé, » et les scènes sanglantes de Turin lui donnaient raison. Il trouvait surtout pénible, humiliant que le changement de capitale, le choix de Florence, fût le résultat d’une condition imposée par la France. Il aurait voulu que la parole de l’Italie pût suffire, et que les hommes d’état italiens fussent en état de tenir cette parole. C’était tout l’homme.

Au milieu de ces émotions, l’esprit de d’Azeglio n’avait rien perdu de sa vivacité, et son âme ne s’était point refroidie ; mais ses forces diminuaient. Son organisation était atteinte d’un mal qui s’aggravait chaque jour. Il avait acheté depuis quelques années, aux bords du lac Majeur, une petite villa adossée à la montagne et surplombant le lac, entourée de cactus et de lauriers-roses, d’où il voyait la rive autrichienne. Il allait souvent se réfugier dans son aimable retraite, où il retrouvait le calme que donne le spectacle d’une gracieuse nature. Lorsqu’il avait acquis cette petite propriété en 1858, il écrivait : « J’ai pris ma retraite en face de l’ennemi. En regardant ce rivage, je frémis, mais je me tais, ne voulant pas troubler par des récriminations puériles un silence qui me semble la condition de ma dignité personnelle comme de la dignité de mon pays. Je ne verrai pas cette rive redevenir italienne !… » Moins de deux ans après, les deux rives étaient italiennes. C’est à Cannero que dans les dernières années il s’amusait à écrire ses mémoires sans détourner d’ailleurs son regard de tout ce qui agitait l’Italie, et sans cesser de s’intéresser à tout ; c’est de là qu’il lançait son dernier opuscule, une lettre aux électeurs, au moment où s’ouvrait le scrutin pour le renouvellement de la chambre en 1865. Il était encore à Cannero à la fin de l’année, réduit à prendre mille précautions pour sa santé déclinante, lorsqu’il était saisi tout à coup d’un refroidissement. Il eut à peine le temps de se rendre à Turin ; son visage était déjà altéré, la mort semblait errer sur ses lèvres. Aucun soin ne put arrêter les progrès de la maladie. Une des dernières visites qu’il reçut fut celle du prince de Carignan, dont il était l’ami. Son regard se ranima en voyant le prince : il le remercia et lui rappela qu’il avait été un des plus fidèles et des plus affectionnés serviteurs de la maison de Savoie. Peu de jours après il s’éteignait, non sans avoir passé par une lente et douloureuse agonie,