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à côté de sa femme, dont quatre hommes portaient le palanquin ; la nuit, il ne quittait pas son chevet. Pour s’éclairer dans la profonde obscurité des habitations des nègres, il avait fait une veilleuse avec un tesson dans lequel il mettait de la graisse et une mèche de toile. Cette lumière, toute blafarde et fumeuse qu’elle fût, lui permettait de remplir ses tristes fonctions de garde-malade. Il passait ses nuits à mouiller les lèvres et la tête de celle qui lui avait dit au début de son voyage : « La mort seule pourra me séparer de toi. » Nuits d’angoisse, dont les minutes lui : paraissaient des heures, et pendant lesquelles les plus sombres pensées se pressaient dans son esprit ! Quelquefois des hyènes ou autres animaux sauvages rôdaient autour de la hutte, attirés par la lueur de la lampe. Leurs cris remplissaient l’âme de Baker d’une indicible tristesse et de noirs pressentimens. Il lui semblait qu’ils étaient poussés par quelque instinct sinistre. La malade restait toujours insensible, pas un mouvement qui indiquât que la vie reprenait possession de ce corps affaibli. Ce voyage ressemblait à un convoi funèbre, car ses gens témoignaient par leur gravité qu’ils partageaient la douleur de leur chef. Enfin le quatrième jour elle ouvrit les yeux en disant : u Dieu soit béni ! » mais aux paroles incohérentes qui suivirent cette exclamation il comprit que son insolation s’était compliquée d’une fièvre cérébrale. Six mortelles journées se passèrent encore dans un état qui laissait peu d’espoir ; le septième jour, Mme Baker eut de violentes convulsions qui furent suivies d’une prostration complète. Il crut que le moment suprême était arrivé. Il la couvrit de son plaid écossais ; un de ses hommes alla mettre un manche à une pioche, et lui, accablé de fatigue, s’affaissa au pied du lit de la mourante et s’endormit. Il était grand jour quand il s’éveilla. Il regarda sa femme, qu’il trouva, de même que la veille, pâle comme la mort ; sa figure portait l’empreinte de la sérénité d’un être pour qui les préoccupations de la vie n’existent plus. Il s’approcha, se pencha sur elle, et l’entendit respirer comme si elle dormait paisiblement. Reviendrait-elle à la vie ? lui serait-elle rendue ? Elle se réveilla bientôt, la fièvre l’avait quittée, ses pensées étaient lucides. Elle entrait en pleine convalescence. Après un repos de deux jours, nos voyageurs se remirent en route joyeux et légers. Le pays, qui avait été jusqu’alors plat, dénudé et stérile, s’accidentait et prenait un air de fête. Arrivé le 14 mars 1864 au village de Pakanis, Baker aperçut de loin des montagnes dont une lueur bleuâtre arrondissait les lignes et cachait les sommets. Il demande aux habitans du village à quelles distance elles se trouvent. Ils lui répondent qu’elles sont au-delà du lac Louta-N’zigé, dont il pourrait atteindre les rives avant la fin de la journée, s’il se hâtait un peu. Cette réponse l’électrise, il ne se sent plus de joie.