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Il stimule ses gens, double leur salaire de la journée, promet une récompense à son guide, éperonne son bœuf. Il a devant lui une vallée profonde, il la traverse au pas de course ; elle est suivie d’une colline élevée, à pentes rapides, il la gravit comme s’il était au début de son voyage. Un paysage des plus pittoresques se déploie à ses regards ; il ne le voit pas, absorbé par l’idée de la découverte qu’il va faire et qui doit assurer la gloire à son nom. À peine a-t-il atteint le sommet de la colline, qu’il se trouve en face de la plus belle mer intérieure qu’il eût jamais contemplée. C’est une immense nappe d’eau dont la surface brille aux rayons d’un soleil éblouissant. Il n’aperçoit aucune limite au sud et au sud-ouest. Les montagnes qu’il avait vues du village de Pakanis sont à l’ouest du lac, à une distance de 80 kilomètres environ du lieu où il se trouvait, et peuvent avoir 7,000 pieds de hauteur. Elles se divisent en plusieurs branches qui s’étagent en s’allongeant vers le sud. Des ombres épaisses qui en interrompaient les lignes marquaient sans doute la place de profondes vallées. En deux endroits, il remarqua comme des rubans argentés suspendus sur ces sommets. Il comprit qu’il y avait là deux belles cascades qui attireraient un jour l’attention des voyageurs. Les montagnes paraissaient émerger du lac, mais des colonnes de fumée qui s’élevaient à la base marquaient la place de vastes prairies dont on brûlait les herbes à cette époque. On lui dit qu’il fallait, avec une bonne embarcation, quatre jours et quatre nuits pour traverser le lac dans sa plus grande largeur. En faisant la part de l’exagération si naturelle aux nègres, il en conclut que cette largeur pourrait être de 35 à 40 lieues. Le lac se rétrécit graduellement au nord et au sud. Il s’étend jusqu’au Karagué, et doit embrasser à peu près 5 degrés de latitude, 3 degrés au-delà de la ligne et 2 en-deçà ; sa direction est du nord-est au sud-ouest, obliquant entre les 26° et 30° de longitude est ; il est le plus vaste de tous les lacs de l’Afrique équatoriale, et l’altitude au-dessus du niveau de la mer en est de 2,720 pieds. Les eaux du lac étaient basses à l’époque où Baker le vit ; on lui montra une marque qu’elles atteignent quand elles sont hautes ; il en conclut que le niveau ne variait que de li pieds. En général, le lac est calme jusqu’à une heure de l’après-midi ; à ce moment, un vent assez violent du sud-ouest le soulève et en rend la navigation peu sûre pour de petites embarcations. Il donna à cette mer intérieure le nom de lac Albert ou « Albert Nyanza, » unissant le nom du prince dont l’Angleterre regrettait la perte à celui de sa veuve, que Speke avait donné au lac Ukérewe en l’appelant « Victoria Nyanza. » Ces deux lacs sont séparés par une contrée montueuse au milieu de laquelle Speke a placé le mont M’fumbiro, dont il évalua la hauteur à 10,000 pieds. La distance qui les sé-