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LES FENIANS

Je voudrais donner une idée vraie du trouble qui agite l’Irlande, et qui mériterait à peine d’appeler l’attention, s’il ne montrait sous un jour tout nouveau deux choses bien tristes : l’absence de raison chez un peuple intelligent, et l’impuissance morale d’un gouvernement fort. Personne ici n’a lieu d’être fier, ni les Irlandais, ni le gouvernement anglais, ni le clergé catholique, ni nous-mêmes, car la civilisation moderne n’a pas su guérir les maux de l’Irlande. D’un côté, voici un peuple (ou pour mieux dire une partie d’un peuple) beau, aimable, spirituel, malheureux pour n’avoir pas su vaincre, et plus malheureux pour n’avoir pas su accepter la défaite. Chez lui, l’imagination a tué la raison. Il vit de rêves, de fantaisies, de chimères, et tombe dans la simplicité des peuples enfans. Trompé par la vivacité même de son esprit, il s’exalte, se soulève, et appelle la misère quand il croit acclamer la guerre. Prêt au martyre, il fuit par bandes à l’aspect des armes à feu, comme les Indiens du Mexique, et du Pérou devant Cortez et devant Pizarre. D’un autre côté, voici un gouvernement qui, après avoir été pendant des siècles cruel et tyrannique, est entré dans la voie des réparations. Il a rendu la liberté, il a rendu l’égalité. Si les mêmes lois produisaient les mêmes effets quand les circonstances sont différentes, on pourrait dire la situation de l’Irlande semblable à celle de l’Angleterre ; mais la liberté a été aussi impuissante à conquérir les Irlandais que l’avait été la tyrannie, la justice que l’injustice. En dépit des chemins de fer et de toutes les machines à vapeur, on en est encore au lendemain de la capitulation violée de Limerick. Quant au clergé catholique, son pouvoir est considérable. Depuis deux cents ans, il est en Irlande l’autorité morale. Grâce à la place qu’il occupe dans les cœurs, les classes pauvres sont restées éloignées des propriétaires