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confirme ces faits. Vers 1760, la population de la France atteignait tout au plus 20 millions d’âmes, c’est ce qui résulte de tous les documens contemporains[1]. En 1790, un autre dénombrement, fait par ordre de l’assemblée nationale, en trouva plus de 26. Déduction faite de la Lorraine et de la Corse, annexées depuis 1760, c’est un accroissement de plus de 5 millions en trente ans, ou 175,000 en moyenne par an, progression qui n’a été égalée depuis que de 1815 à 1846, et que nous sommes bien loin d’atteindre aujourd’hui.

Quand vint 1789, l’assemblée constituante commença par inscrire en tête de la Déclaration des droits cette phrase empruntée aux écrits des économistes : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ; ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l’oppression. » Dans la confusion d’idées qui régnait alors, elle ne resta pas longtemps fidèle à ce magnifique programme ; mais elle l’a promulgué, c’est son plus grand honneur. Si beaucoup de ses votes s’en éloignèrent, sous l’impulsion des passions déchaînées, d’autres y restèrent conformes, et ce sont ceux-là qui ont survécu. Elle essaya même de réaliser une des parties les plus contestées de la doctrine physiocratique en supprimant tous les impôts indirects, à l’exception des douanes. Cette expérience ne pouvait pas réussir au milieu de l’horrible désordre qui suivit. Napoléon avait besoin d’argent pour faire la guerre ; il rétablit les impôts indirects sous le nom de droits réunis. Faibles d’abord, ils se sont élevés peu à peu jusqu’à la somme énorme qu’ils rapportent aujourd’hui. À cet égard, les faits semblent s’éloigner des idées de l’école, mais la science financière n’a pas encore dit son dernier mot. Plusieurs symptômes annoncent au contraire un prochain retour aux impôts directs. Les économistes réprouvaient aussi les emprunts publics, et on a vu ces emprunts se multiplier sans nécessité ; faut-il en conclure qu’il ne s’arrêteront jamais ? L’avenir reste ouvert, et les parties de la doctrine économique qui ont déjà passé dans les lois et dans les mœurs permettent d’espérer que d’autres les suivront un jour.

Léonce de Lavergne.


  1. « La France n’a pas 20 millions d’habitans, d’après le dénombrement des feux, fait exactement en 1751, » dit Voltaire dans le Dictionnaire philosophique. Le véritable chiffre trouvé à cette époque était de 18 millions 107,000.