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contrister, éprouver sa vertu, mais étouffer son amour, jamais !… » Et même au milieu de ces perplexités, pendant quel l’existence des communautés religieuses était partout mise en doute, les bénédictins formaient encore des projets, comme s’ils avaient eu l’avenir devant eux. Ils méditaient deux choses dans lesquelles ils voyaient un retour à l’esprit de saint Benoît : ils voulaient établir autour du monastère une colonie agricole pour les enfans pauvres et abandonnés, et faire du Mont-Cassin une sorte de grand abri au-dessus des tempêtes humaines, un refuge où pourraient venir « les hommes doués d’une aptitude quelconque dans les sciences, dans les lettres ou dans les arts, sans aucune distinction de patrie et d’origine, sans perpétuité de vœux monastiques, sans obligation de cléricature, — tous associés dans le travail par le lien de la charité… » C’était au moins un beau rêve fait par des esprits généreux en face de la réalité inexorable qui venait frapper à la porte du Mont-Cassin.

Cette réalité, c’était la suppression pour la grande abbaye bénédictine comme pour tous les ordres religieux de l’Italie. La loi du 7 juillet 1866, qui dissout les communautés religieuses, en cessant de leur reconnaître la personnalité civile, par conséquent le droit de propriété, et qui fait de leurs biens une masse de richesse vague dont la destination reste encore indécise, cette loi, il est vrai, fait d’une certaine manière une exception en faveur du Mont-Cassin, de Sainte-Trinité de Cava, de Saint-Martin de Monreale, de la chartreuse de Pavie, je veux dire qu’elle sauve matériellement ces maisons de la destruction ; elle leur épargne l’humiliation de devenir des casernes ou des usines ; elle leur fait la position spéciale de grands établissemens publics destinés à être conservés avec leurs archives, leurs bibliothèques et leurs œuvres d’art. J’ajoute que rien n’empêche dans la pratique, — et c’est ce qui arrivera infailliblement, — que les moines restent, comme sous le régime du décret de 1806, les gardiens naturels, les archivistes, si l’on veut, de ces maisons sauvées du grand naufrage monastique ; mais enfin légalement le Mont-Cassin n’existe plus pour l’instant comme abbaye ; il a disparu avec son autonomie de treize siècles, avec son caractère d’institution indépendante. S’il eût été seul, il eût été épargné sans doute, car c’est la maison la plus populaire en Italie, et j’ai vu bien des hommes, les plus élevés d’esprit, les plus libéraux, disposés à laisser les bénédictins sur leur montagne, à respecter la noblesse de cette communauté pieuse, savante et nationale. Le malheur du Mont-Cassin est de n’avoir pas été seul, d’avoir payé pour d’autres, en un mot de s’être trouvé enveloppé dans cette autre question plus vaste, plus générale, plus complexe, qui s’appelle la question religieuse, devant laquelle plus d’un ministre à déjà chancelé en