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transactions. Le bon vouloir de M. Disraeli, il avait trop d’esprit pour ne point s’y attendre, échoua devant la réprobation unanime que les résolutions soulevèrent. Le ministre put se convaincre en ce moment qu’en dehors et au-dessus des partis il y avait dans le pays et dans le parlement une opinion résolue, demandant une réforme qui fût une transaction, une réforme votée immédiatement, qui déblayât d’une difficulté prolongée et aggravée le terrain politique de l’Angleterre. Il est visible que M. Disraeli chercha tout de suite son point d’appui dans cette opinion impartiale et désintéressée. Il se montra conciliant et prêt à accorder sur les détails toutes les concessions qui n’altéreraient point les principes essentiels du bill. Son projet de loi contenait encore des dispositions qui choquèrent le sentiment public, qu’il avait sans doute introduites par égard pour ses amis, mais dont il fit lestement le sacrifice quand la voix publique eut parlé. Il laissa sortir en même temps du cabinet trois membres importans, et le départ de ses collègues, au lieu de l’affaiblir, accrut visiblement son autorité ministérielle. Arrivé là, M. Disraeli rencontra d’autres et plus périlleuses embûches. Dans le principe, M. Gladstone et l’opposition libérale avaient montré une répugnance honorable à faire porter sur le bill de réforme la question de cabinet. Cependant, la seconde lecture du bill ayant eu lieu, le débat en comité, c’est-à-dire la discussion des articles et des amendemens allant commencer, M. Gladstone et ses amis parurent se raviser. Le chef de l’opposition réunit chez lui plus de deux cent cinquante membres du parti libéral. Il leur proposa de faire précéder le débat en comité par une sorte de seconde discussion générale : l’objet de cette discussion serait une formule d’instruction adressée au comité et qui poserait un chiffre fixe comme condition du cens électoral attaché au house-hold suffrage. M. Gladstone, tout en repoussant l’idée de poser la question ministérielle, affirmait la nécessité de montrer que le parti libéral maintenait son union intérieure. Cette manœuvre fut promptement frappée d’échec. Les esprits impartiaux qui voulaient assurer par des transactions raisonnées le succès d’un bill de réforme en voulurent à M. Gladstone de sa tentative militante. Plus de cinquante libéraux se réunirent dans le tea-room de la chambre des communes, et décidèrent qu’ils ne seconderaient point M. Gladstone, si le gouvernement acceptait la première phrase de l’instruction préparée par les chefs de l’opposition. L’organe des libéraux dissidens fut un vétéran des campagnes réformistes, M. Locke. La phrase de l’instruction qu’on proposait à M. Disraeli n’était qu’une déclaration vague. Le chancelier de l’échiquier l’accepta avec un esprit de conciliation marquée de dignité. L’opposition que M. Gladstone avait espéré condenser par une manifestation imposante fut dès lors divisée. On a vu l’effet de ce curieux mouvement de parti au débat de l’amendement présenté par M. Gladstone ; cet amendement a été repoussé par une majorité de 21 voix sur une chambre de 600 membres. Ce vote est un grand triomphe pour M. Disraeli. Ce spirituel et persévérant politique, qu’une longue carrière d’opposition n’a jamais