Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/1053

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout chef de rebelles, tout fondateur de dynastie nouvelle, prétendant, comme le souverain qu’il combat, à une origine céleste, exigerait à son tour la soumission absolue. Cependant au milieu des détails qui abondent dans l’ouvrage de M. de Courcy, on peut discerner que l’empereur est astreint à l’observation de certaines règles, qu’en fait il doit compter avec l’opinion de ceux qui l’entourent et craindre de heurter les préjugés. Dans ces derniers temps, le conseil de régence qui gouverne au nom de l’empereur mineur a eu parfois quelque peine à se faire obéir, surtout en ce qui concerne l’exécution des traités conclus avec les puissances étrangères, auxquelles bien des fonctionnaires n’ont pas cessé d’être hostiles. Fût-il majeur, le souverain, rendu par l’étiquette inaccessible à ses sujets, ne connaît de l’état de l’empire que ce que les hauts dignitaires n’ont pas intérêt à lui cacher. L’abus des théories du despotisme, l’exagération du respect, restreignent ainsi au profit des fonctionnaires l’exercice du pouvoir souverain.

Le peuple chinois est loin de se montrer dépourvu d’intelligence. Il possède une puissance singulière d’imitation et d’assimilation. Pénétrant dans sa vie intime, M. de Courcy le montre doué de vertus domestiques, ennemi des plaisirs bruyans, manifestant, en dépit de moyens d’éducation très imparfaits, un goût très vif pour la littérature, les arts et toutes les connaissances utiles. Près des côtes surtout, là où l’autorité plus éloignée fait moins sentir son action, où la centralisation moins puissante laisse plus de place au développement de l’initiative privée, où l’amour du gain, entretenu par les facilités du trafic maritime, combat l’influence des institutions, le Chinois déploie dans le commerce et l’industrie une surprenante activité. Avant l’Europe, il tissait des étoffes de soie et de coton dont nos métiers ne dépassent la perfection que depuis peu de temps ; son habileté en agriculture est bien connue ; il a deviné et appliqué les grandes lois du crédit ; de nombreuses banques privées émettent sur les places de commerce leurs billets, qui circulent facilement ; les chèques, les dépôts et comptes courans portant intérêt sont usités depuis des siècles. Au reste, les émigrans chinois se sont montrés à l’œuvre en Californie, au Brésil, dans les Indes. Ils ont contribué à la prospérité de Singapour, ils ont monopolisé longtemps les marchés de l’Indo-Chine. Si à Pékin et dans l’intérieur la population paraît plus nonchalante et plus apathique, rien n’empêche d’espérer que le courant d’idées nouvelles, l’intimité avec les autres peuples ne lui rendent l’exercice des facultés dont elle a fait preuve quand elle inventa l’imprimerie, la poudre à canon, la boussole, quand elle imagina la presse périodique, restreinte aujourd’hui à la gazette officielle de Pékin.

Certaines idées religieuses semblent, il est vrai, mettre obstacle au progrès. Non que le bouddhisme soit intolérant ; il s’est plié à bien des transformations depuis le polythéisme officiel, qui présente à l’adoration du peuple les génies, les élémens, les grands hommes, parmi lesquels