Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/1054

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empereur Napoléon Ier aurait, dit-on, trouvé sa place, jusqu’au matérialisme absolu, qui nie la Divinité, jusqu’au culte de la raison pure, qui abîme l’homme en lui-même dans l’oubli des faits extérieurs et dans la contemplation de l’infini ; mais, au-dessus des formules religieuses qu’il accepte avec plus ou moins de conviction, le Chinois place le culte des ancêtres, véritable religion qui, dépassant le souvenir respectueux et tendre dû aux générations éteintes, est devenu le fétichisme du passé, l’aversion de ce qui est nouveau, l’horreur du changement et du progrès. Par respect pour ses ancêtres, un peuple enferme ses mœurs, ses usages, sa vie privée, ses lois, son gouvernement, dans un cercle infranchissable de vieilles coutumes dont il ne doit plus sortir. De pareils sentimens facilitent trop l’action de l’autorité pour que toute la hiérarchie des fonctionnaires ne s’attache pas à les fortifier. Toute religion, si elle les respecte, vivra sans obstacle à côté de la religion officielle. Ni les musulmans, si dangereux aujourd’hui, ni les juifs, n’ont été inquiétés, mais les missionnaires chrétiens, bien accueillis autrefois et dont les connaissances servirent à réformer le calendrier et à reconstruire la carte de l’empire, furent proscrits dès qu’ils s’en prirent à ce culte vénéré. Aujourd’hui même, malgré les traités, ils devront user de prudence pour ne pas s’attirer de trop vives inimitiés.

L’ouvrage de M. de Courcy s’applique à donner des connaissances pratiques, mais les faits qu’il met en lumière donnent lieu à bien des réflexions, Pourquoi le christianisme, accueilli non-seulement par l’imagination naïve des tribus germaniques, mais aussi, malgré les supplices officiels, par la vieille société romaine, n’a-t-il pas eu le même succès auprès des populations chinoises ? Ses dogmes, ses croyances, sa morale, se rapprochent-ils trop du bouddhisme primitif pour conserver l’attrait séduisant de la révélation ? Cette vieille civilisation était-elle déjà trop sceptique pour admettre la foi aveugle ? Serait-ce que, l’égalité existant avant lui, il n’apportait nul changement à l’organisation sociale ? ou bien la manière dont il a été introduit et présenté a-t-elle nui à ses progrès ? La curiosité se prend encore à d’autres sujets. Par quelle suite d’événemens s’est constituée cette immense réunion d’hommes et de territoires ? Comment une teinte uniforme s’est-elle répandue sur ce vaste ensemble pour le confondre dans une civilisation commune, restée immuable, tandis qu’autour d’elle les empires, les peuples, les religions, grandissaient ou s’écroulaient ? Si, comme la science paraît disposée à l’admettre, toutes les races issues d’une souche commune, ont possédé à l’origine les mêmes facultés et les mêmes instincts, ne serait-on pas désireux de savoir comment des institutions démocratiques basées sur l’égalité sans liberté ont fini par stériliser une portion considérable du genre humain ? Ce sont là de graves problèmes qui touchent à l’histoire de tous les peuples, et dont la solution peut servir à éclairer la marche de l’esprit humain.


P. DUCHESNE DE BELLECOURT.