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mettent pas en doute les miracles des chrétiens, et que les chrétiens ne contestent pas les prodiges des païens. Seulement chacun croit avoir pour soi la Divinité et donne pour auxiliaires à l’ennemi les démons. De là vient que l’histoire du paganisme semble calquée sur celle du christianisme. Julien fait naturellement et sans malice l’inverse de Constantin. Si celui-ci a eu un songe merveilleux après lequel il s’est voué à son Dieu, celui-là en aura un semblable avant de se consacrer aux siens. Ni l’un ni l’autre n’étaient des imposteurs, mais leur imagination, exaspérée par la lutte, le péril et l’ardent esprit du temps, voyait ce qu’elle avait intérêt à voir pour la défense de la cause sacrée.

C’est pour faire comprendre le rôle si souvent méconnu de Julien que nous venons de peindre en traits rapides l’état de l’empire et des âmes, les misères du christianisme divisé, la joie de ses ennemis, la rénovation de la foi païenne. La foi, non la politique, égara Julien. Il eut le malheur de se dévouer à la cause qui n’était pas la meilleure ; il fut la victime d’une passion religieuse. Que la postérité le plaigne, le condamne ou déteste son entreprise, rien de plus naturel. Nous sommes prêt à souscrire à sa pitié ou à sa justice, fût-elle irritée ; mais, tout en accablant sa foi stérile, il faut savoir reconnaître dans l’homme et dans le prince une haute raison et un grand caractère, ne fût-ce que pour adresser un suprême salut à un des plus beaux exemplaires de la vertu antique et au dernier représentant d’un monde qui va mourir.


II.

L’histoire se montrerait peut-être équitable, si elle cessait de flétrir Julien du nom d’apostat. On pourrait facilement soutenir qu’il n’a jamais été chrétien que par contrainte, et qu’il avait plus que tout autre des motifs pour ne pas goûter les enseignemens du christianisme, qui lui furent imposés par son terrible tuteur, l’empereur chrétien Constance, le meurtrier de toute sa famille. Échappé par hasard, comme un petit Joas, au massacre des siens, enfermé avec son frère pendant six ans dans un château de Cappadoce, traité avec égard, sans doute comme un prince, mais par des maîtres qui étaient ses surveillans et des serviteurs qui étaient des espions, le jeune Julien fut soumis à une sorte de régime claustral. Sur les recommandations expresses et méticuleusement prudentes de Constance, qui tenait à en faire un chrétien et qui en aurait fait volontiers un moine, il pratiquait avec rigueur toutes les règles ecclésiastiques, — les jeûnes, les aumônes, l’assistance aux offices. La politique byzantine prévenait déjà la coutume des rois mérovingiens, qui enseveliront au fond d’un cloître les jeunes héritiers des