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matière d’assurances maritimes, c’était M. Richard Thornton, un marchand de la Cité, qui est mort il y a un ou deux ans, laissant après lui une fortune de 3,700,000 liv. sterl. (92,500,000 francs).

Richard Thornton, né en 1776, avait commencé sa carrière commerciale durant les guerres du premier empire, — alors que la Grande-Bretagne se trouvait exclue de tous les marchés de l’Europe. D’accord avec un associé (son frère), il résolut de lutter par le courage et la ruse contre le blocus continental. Une division de l’armée française sous les ordres du général Rapp fermait alors Dantzig à la marine anglaise, et de même tous les ports au nord de l’Allemagne étaient sévèrement gardés. Ces dispositions stratégiques n’intimidèrent nullement les deux marchands et armateurs de la Cité de Londres. Ils jurèrent de passer avec leurs denrées à travers les mailles du réseau de fer. Richard Thornton entrait un jour sur un de ses navires dans la Baltique, lorsqu’il rencontra un vaisseau de guerre danois qui lui ordonna de se rendre. Le bâtiment de commerce anglais était armé de quelques pièces d’artillerie, et il répondit à cette sommation par une vigoureuse canonnade qui mit en fuite l’agent de la politique française. En 1810, l’amirauté avait besoin de chanvre pour les voiles et les cordages de la flotte : il n’y avait guère que Saint-Pétersbourg où l’on pût se procurer cette matière brute en grande quantité ; mais tous les marchands anglais s’étaient alors sauvés ou avaient été chassés de la capitale de l’empire russe. Thornton, à ses risques et périls, se chargea de cette mission difficile. Il débarqua sans bruit à Memel, et parvint, en dépit de tous les obstacles, à envoyer par mer dans son pays plusieurs millions de balles de chanvre pour refaire les ailes des vaisseaux. On pense bien qu’il fut magnifiquement récompensé pour un tel service. Cependant certains signes avant-coureurs annonçaient le déclin de l’empire fondé par Napoléon. De quel œil attentif l’obscur marchand de la Cité suivait ces présages ! Le premier en 1812, il apprit à Londres la déroute de Moscou ; la nouvelle lui arriva par son frère, qui était alors en Russie, et cela trois jours avant que les ministres et les négocians anglais ne fussent instruits de l’événement. Il en profita pour gagner plus de 200,000 liv. sterl. (5,000,000 fr.). Dès que les mers furent rouvertes en 1815, Richard Thornton chercha de nouvelles perspectives à sa fortune. Vers 1830, ses regards se dirigèrent du côté de la péninsule. Jugeant que le système de dom Miguel en Portugal était frappé de vertige et que les entreprises des carlistes ne réussiraient point en Espagne, il crut faire une bonne affaire en souscrivant (c’est le terme de commerce) la chute de ces deux anciennes dynasties. Il avança donc des sommes considérables pour entasser