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la jeune population errante des villes. Dans un temps où la marine marchande s’appauvrit en hommes de jour en jour, la Grande-Bretagne aura ainsi découvert une excellente source pour recruter et retremper ses forces navales.

L’idée d’un vaisseau-école (training ship) n’est certes point nouvelle. Il y a environ une quinzaine d’années que le capitaine Harris, plantant son pavillon sur l’Illustrious (un vaisseau de ligne), y introduisit au nom de l’amirauté tout un cours d’instruction qui se poursuit maintenant avec le plus grand succès et par les soins du même chef éclairé à bord d’un autre navire royal, le Britannia. Il serait trop long d’entrer dans tous les détails de cette éducation technique ; ne suffira-t-il point de dire que dans de telles écoles flottantes le temps des jeunes marins se partage entre l’étude et les exercices du corps ? C’est à peu près le même système qu’on voudrait aujourd’hui appliquer à la marine marchande. Le Chichester ou training ship des jeunes arabes devra sans doute beaucoup modifier son cours d’enseignement. Ces enfans des rues n’ont pas besoin d’apprendre la pratique du canon, l’exercice du coutelas et beaucoup d’autres manœuvres de guerre qui occupent une grande place sur les bâtimens de la reine. On ne se propose point non plus de faire d’eux des savans : quand ils auront appris à lire, à écrire, à compter, et qu’ils se seront familiarisés avec la vie de mer, le moment ne sera-t-il point venu de les placer à bord d’un navire marchand pour qu’ils aillent chercher eux-mêmes leur pain sur les eaux ? L’intention des directeurs est de les garder sur le Chichester et de les instruire durant une année. Du moins après ce temps-là les élèves de l’institution ne seront plus tout à fait étrangers au maniement d’un vaisseau. Pour le novice qui vient de quitter le rivage, tout est à apprendre, et d’abord le nom même des instrumens qui servent à la navigation. Ce qu’il y a de plus remarquable dans ce vocabulaire maritime est la force tenace et l’obsession des premiers souvenirs. Jack a beau se vanter d’avoir coulé à fond la terre, il ne peut entièrement se débarrasser des nombreuses associations d’idées qui s’y rattachent. En veut-on la preuve? Il baptise la plupart des objets inanimés avec lesquels il est sans cesse en contact sur le vaisseau d’après les noms des animaux domestiques et des usages qu’il a connus dans son pays. Cette maison de bois flottant sur l’abîme est ainsi une arche de Noé dans laquelle le marin emporte avec lui tout un monde[1].

Combien d’autres connaissances pratiques doit acquérir le jeune

  1. Le cheval par exemple se retrouve au moins comme souvenir dans les horse-blocks, le chien dans les dog-vanes, le chat dans les cat-heads, et il en est ainsi de bien d’autres instrumens nautiques.