Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 68.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en rapport avec le peuple qu’ils ont autrefois gouverné. Ce n’est pas sans quelque peine qu’une population se fait aux allures et aux usages de conquérans nouveaux. Des ambitions, des intérêts ont été froissés, et les fonctionnaires annamites, en traversant nos possessions, ont les moyens de développer ces germes de mécontentement, et de promettre aux insoumis un point d’appui et un asile sur les deux frontières, à Vinluong et à Barriah. La masse de la population est actuellement peu disposée à la rébellion; mais il se rencontre toujours un certain nombre d’individus facilement enclins au désordre. Le gouvernement annamite, qui autrefois les eût sévèrement châtiés, les excite peut-être aujourd’hui, et quelques bandes de pillards, qui savent où se réfugier, suffisent pour troubler la tranquillité. Tel est le caractère que présentent les révoltes de 1862, 1864, 1866. Le gouvernement de Hué nie toute participation à ces troubles. Le plus souvent il a été assez habile pour n’en pas laisser de traces; mais parfois aussi la saisie de barques chargées d’armes descendues de Vinluong à Mytho, l’arrestation d’émissaires annamites porteurs de proclamations séditieuses, ont rendu sa complicité manifeste. En 1864, tandis qu’on négociait à Paris et à Hué la rétrocession des trois provinces conquises, Quandinh, le mandarin que l’amiral Bonard avait déjà chassé en 1863, reparut près de Mytho. Plus tard, en 1865, ce furent les tribus sauvages des Moïs de l’est, reste d’une population différente des Annamites et enclavée dans les frontières de l’empire sans être entièrement soumise à ses institutions, qui, sous une inspiration venue de Hué, descendirent des montagnes pour ravager la province de Bienhoa. En mars 1866, une nouvelle insurrection a éclaté, et peut-être, malgré les protestations des mandarins, les troubles qu’appuient leurs intrigues ne sont-ils pas entièrement calmés. Cette nécessité de protéger contre des voisins mal disposés les deux frontières ouvertes de l’ouest et de l’est exige le maintien d’un corps d’occupation d’un peu plus de cinq mille hommes. L’extension de la domination française jusqu’au golfe de Siam diminuerait, dit-on, plus qu’elle n’augmenterait ce chiffre, la frontière de l’est, peu étendue entre les montagnes et la mer, restant dès lors seule à couvrir. Tous ces argumens tirés des intérêts commerciaux ou politiques, on les invoque à Saigon pour établir la nécessité de sortir d’une situation fausse, que l’on représente comme de nature à retarder les progrès de la colonie.

Pour apprécier les motifs qui déterminèrent en 1862 l’amiral Bonard à s’arrêter à la limite du Mékong quand il eût pu, avant de traiter, s’étendre jusqu’au golfe de Siam, et pour savoir si ces mêmes motifs ne sont plus également valables aujourd’hui, il im-