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salut public rendit le 4 août 1793 un arrêté qui ordonnait d’urgence la construction d’une ligne télégraphique de Paris à Lille. On pensa d’abord à la guerre; Carnot prit l’affaire en main, car il comprit tout de suite qu’on lui offrait un nouveau moyen d’organiser la victoire.

On peut dire que pour cette première installation les frères Chappe ont tout fait. On mit à leur disposition une somme de 166,240 livres prises sur les 50 millions que le ministère de la guerre devait consacrer à la défense du pays; mais en tenant compte de la déperdition régulière des assignats, on reconnaîtra qu’ils n’eurent, pour leurs premiers travaux, qu’une somme de 80,000 francs à dépenser. C’est à l’aide de si minimes ressources qu’on parvint cependant à établir la ligne de Paris à Lille. On l’a dit, et il faut le répéter : en ce temps-là, le patriotisme enfantait des miracles. Seize stations séparaient les deux points extrêmes : c’étaient seize postes à construire.

Les pierres manquaient, on ouvrit des carrières; le bois faisait défaut, on en prit dans les forêts de l’état; les ouvriers refusaient de travailler pour un salaire illusoire payé en assignats dépréciés, on les mit en réquisition. Les frères Chappe faisaient tous les métiers; tour à tour géomètres, architectes, maçons, charpentiers, mécaniciens, ils se divisaient la besogne et se multipliaient à l’infini. Le comité de salut public, auquel il n’était pas prudent de désobéir en ce temps-là, autorisa les inventeurs du télégraphe à placer leurs machines sur les tours, sur les clochers, partout enfin où ils trouveraient avantage ou économie de temps; par son ordre, ils obtinrent de faire abattre, moyennant indemnité discutée, les rideaux d’arbres qui pouvaient s’interposer entre deux stations. C’est aux frères de Claude Chappe qu’était échu le dur labeur de surveiller et d’activer l’établissement des stations; quant à lui, resté à Paris, il s’était réservé la plus pénible partie du travail, la construction des machines; il ne parvint pas à réunir sous sa surveillance directe un groupe d’ouvriers spéciaux pouvant former un atelier de menuiserie et de serrurerie, il fut obligé de faire exécuter ses pièces séparément, une à une, par des artisans isolés. Lorsqu’il était parvenu à obtenir les différens organes de son instrument, il les assemblait lui-même et allait sur place établir l’appareil, le faire jouer et s’assurer qu’il pourrait fonctionner. En dehors de cette occupation incessante, il s’était donné la tâche de former lui-même les stationnaires, c’est-à-dire les hommes qui devaient faire mouvoir le télégraphe, en connaître tous les signes, savoir par quelle manœuvre particulière on les obtient, et arriver par l’étude et l’usage à cette habileté qui permet d’éviter les erreurs. Dès qu’il avait terminé