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III

Le Vœu de Louis XIII manque donc, à vrai dire, dans la carrière d’Ingres le point de départ, j’entends la première victoire publique du maître, le premier grand succès obtenu. Ingres à cette époque avait atteint déjà dépassé même l’âge de quarante ans ; il avait produit, sans compter ses portraits, bon nombre des tableaux qui devaient un jour honorer le plus sûrement son talent et son nom ; mais, sauf la sympathie de quelques jeunes peintres insurgés à leur manière contre le despotisme académique, sauf l’attention et les éloges accordés à ses ouvrages par plusieurs des élèves de Guérin, par Eugène Delacroix et Scheffer en particulier, il n’avait rencontré encore dans son pays, même auprès des artistes, que l’indifférence ou le dédain. Une fois seulement, lorsque la Chapelle Sixtine avait paru au salon de 1814, on s’était un peu départi de ces rigueurs envers un homme que la critique du temps jugeait d’ailleurs, pour ce fait, capable de devenir « un peintre de genre agréable. » Pour tout le reste, qu’il s’agît à ce même salon de Don Pedro de Tolède, ou, aux expositions suivantes, de l’Odalisque, du Maréchal de Berwick et de l’Entrée à Paris de Charles V, la foule ne s’en occupait guère, et les connaisseurs attitrés s’en moquaient. Il est sans exemple, au moins dans notre école, qu’un grand peintre ait été aussi longtemps méconnu, et qu’une vie destinée à s’achever au milieu des respects unanimes se soit continuée presque jusqu’à la limite d’un demi-siècle sans autre récompense que l’estime de quelques esprits indépendans ou les encouragemens obscurs de quelques amis. Poussin, Prud’hon lui-même, si tardive qu’ait été sa renommée, Poussin et Prud’hon ne s’étaient pas vus condamnés à de pareils ajournemens ; quant à Lesueur, à Lebrun, à David et à ses principaux élèves, tous avaient conquis une haute situation et maîtrisé l’opinion publique bien avant l’âge où le peintre du Vœu de Louis XIII semblait pour la première fois produire ses titres et mériter un commencement de réputation.

Quoi qu’il en soit, les méprises venaient de cesser. A l’exemple de Florence et de Paris, la ville de Montauban s’émut de l’apparition d’une œuvre dont le succès l’intéressait si directement, et lorsque Ingres, après une absence de trente ans, se retrouva dans ces murs qu’avait connus son enfance, il y fut reçu avec les empressemens et les hommages dus à un homme désormais célèbre. Ce fut la seule fois au reste qu’il revit sa ville natale, bien que jusqu’à la fin il eût gardé pour elle un attachement très vif et qu’il eût même songé un instant à aller y passer les dernières années de sa vieillesse. Ingres