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a voulu du moins qu’après lui quelques-uns de ses tableaux, ses nombreuses études et tous les objets d’art qu’il possédait fussent réunis dans l’hôtel de ville de Montauban pour y perpétuer le souvenir de son origine et les traditions de sa gloire ; il a voulu que le tout eût sa place dans les salles de cet ancien palais épiscopal dont son père avait autrefois sculpté les lambris, où, sous le règne de Louis XVI, il avait été lui-même accueilli avec bonté par l’évêque, M. de Breteuil. Ainsi le Jésus au milieu des docteurs, une des dernières œuvres du peintre, viendra orner le salon où, près de quatre-vingts ans auparavant, celui qui devait un jour signer cette toile de son nom illustre avait été complimenté sur son talent naissant de musicien[1], et les travaux successifs résumant cette vie si bien remplie iront rejoindre là où elle ne s’est pas écoulée ce qui subsiste de ses premières promesses et des souvenirs lointains de ses débuts.

L’Apothéose d’Homère, peinte en 1827 pour la décoration d’une des salles du musée Charles X, vint mettre le sceau à la réputation d’Ingres et démontrer avec plus d’évidence encore que le Vœu de Louis XIII la rare élévation de son talent. Nous nous bornerons à rappeler le fait. Il semblerait aussi superflu de louer aujourd’hui une œuvre consacrée par l’admiration de tous qu’il serait inutile de la décrire. Qui ne connaît, qui n’a présente à l’esprit cette noble scène ? Qui ne sait que, dans aucun tableau appartenant à notre école, l’imitation de la majesté antique n’apparaît moins qu’ici entachée de pédantisme, ni la fermeté du style moins voisine de la sécheresse ? Notre école n’avait rien produit de pareil, avons-nous dit : oui, si l’on considère dans l’Apothéose d’Homère la beauté souveraine de l’exécution, cet incomparable mélange d’ampleur et de finesse ; mais, au point de vue de la composition, de l’interprétation morale du sujet, on trouverait dans l’art de notre pays, comme dans notre littérature, des précédens à cette faculté de s’approprier à souhait les sentimens et les inspirations antiques. Bien plus, c’est là surtout qu’il faudrait les chercher. En ressuscitant ainsi l’esprit et les mœurs d’un passé dont tant de siècles nous séparent, Ingres ne faisait que continuer une des traditions, qu’exploiter à sa manière un des privilèges du génie national. Il renouvelait les fécondes tentatives d’André Chénier dans le domaine de la poésie ou celles que dans la peinture même d’autres maîtres avaient accomplies avant lui. Avec des formes plus pures et une

  1. Ingres aimait à se rappeler les applaudissemens que lui avait valus en 1788 certain air de la Fausse Magie chanté un soir devant l’évêque entouré des officiers de sa maison. Pour que la compagnie ne perdit rien du spectacle, on avait placé le petit chanteur debout sur un haut tabouret.