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expression du beau à la fois plus aisée et plus pénétrante, l’Apothéose d’Homère appartient par le fond des intentions à la même famille que le Testament d’Eudamidas, de Poussin, et que la Mort de Socrate, de David. Des œuvres aussi savamment, aussi profondément pensées, se rencontreraient difficilement ailleurs, et l’honneur n’est pas médiocre pour l’école française d’avoir légué au monde les trois compositions les plus fortes peut-être, les plus véritablement antiques que les souvenirs de l’ancienne Grèce aient inspirées à l’art moderne.

En achevant d’assurer au maître une place à côté des peintres les plus renommés de l’époque, le succès d’Homère avait eu cet autre résultat, de peupler l’atelier d’Ingres de nombreux élèves et d’ajouter par conséquent l’influence d’un chef d’école au crédit d’un homme si bien recommandé par ses œuvres auprès du public. Déjà peu après son retour d’Italie et son élection à l’Institut, Ingres s’était décidé à entreprendre l’éducation de quelques jeunes artistes, de M. Amaury-Duval entre autres, le plus ancien de ces premiers disciples comme le plus distingué aujourd’hui par son talent. Toutefois il n’y avait là encore qu’un moyen d’action et d’enseignement trop limité pour intéresser fort sérieusement l’avenir de l’art français. Une plus vaste perspective s’ouvrait devant lui. Le moment et l’occasion étaient venus pour le maître d’initier ou de convertir à sa doctrine beaucoup de ceux qui dans quelques années seraient appelés à diriger le goût public : il lui appartenait, non pas de susciter de grands artistes, — Dieu seul est en possession de ce secret, — mais de développer ou de prémunir des talens, d’élever en un mot le niveau de l’art contemporain en l’étayant de principes sûrs et de solides traditions. On sait avec quel bonheur Ingres s’acquitta de cette tâche pendant les années malheureusement trop courtes qu’il y consacra, et quel utile empire il exerça non-seulement sur Hippolyte Flandrin, sur M. Lehmann, sur plusieurs autres encore parmi ses élèves les plus éminens, mais aussi sur la plupart de ceux qui, à l’époque où nous sommes, protestent dans leurs travaux de peinture murale ou dans la peinture de portrait contre les vulgaires entreprises du métier. — Hélas ! ces protestations seraient autrement nombreuses, autrement efficaces, et les périls qui les provoquent bien moins menaçans, si, au lieu de remplir pendant huit années à peu près ses fonctions de professeur, Ingres les avait continuées au-delà de cette courte période. Puisqu’il réussit en si peu de temps à former un nombre considérable de talens sérieux, à les aguerrir pour le reste de leur vie contre les menues séductions de l’esprit ou de la pratique, qu’eût-ce été, si l’on suppose le maître gardant jusqu’au bout son autorité ! On peut dire sans exagération que de sa retraite prématurée datent dans notre