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l’entraînent, parce qu’enfin, pour célébrer la foi d’une âme qui défie la mort, il fallait insister sur le contraste que présenteraient tous ces corps esclaves de la vie, tous ces personnages appelés sur le chemin du supplice par leur office ou par une curiosité brutale.

D’autres scènes toutefois d’une signification plus abstraite, d’un caractère plus expressément idéal, comme Jésus-Christ donnant les clés à saint Pierre ou la Vierge à l’hostie, permettent de dire que l’imagination d’Ingres était, sinon rebelle à l’émotion pieuse, au moins peu disposée à l’éprouver et à la traduire dans le sens mystique que comportent de pareils sujets. Les peintres qui de nos jours entreprennent de les traiter ne sont pas tenus sans doute de se cantonner, sous peine de profanation, dans un dédain systématique des réalités palpables ou dans l’imitation archaïque du style propre aux anciens maîtres. On peut sans trahir l’Évangile en commenter les enseignemens dans la langue du beau pittoresque, comme on peut, comme on doit continuer certaines traditions sans pour cela parodier au XIXe siècle les procédés de fra Angelico ou de Memling ; mais dans tous les cas et à toutes les époques il faut que la peinture sacrée, tout en parlant aux yeux, atteigne au-delà. Il faut, comme Nicole le disait de l’éloquence de l’orateur, que l’éloquence du peintre « nous laisse un dard dans le cœur. » Or celle d’Ingres n’arrive guère qu’à effleurer ce cœur vulnérable ; en nous parlant des choses du ciel, elle se souvient trop des exemples de la terre, et semble nous inviter surtout à en contempler la grandeur ou le charme. Qui n’admirera dans la Vierge à l’hostie ou dans Jésus donnant les clés à saint Pierre la noblesse des visages et des draperies, l’ampleur du dessin et du modelé, la perfection du faire d’un bout à l’autre de la toile ? Mais aussi qui sentira sa raison vaincue et son cœur conquis à Dieu devant cette image d’une beauté tout humaine ? De telles œuvres, comme le Jésus au milieu des docteurs, comme le Vœu de Louis XIII lui-même, ont leur place marquée dans un musée plus exactement que dans une église, parce qu’elles tendent moins à nous faire pressentir l’invisible qu’à nous démontrer le fini, parce qu’elles renseignent les yeux sur les moyens de l’art et sur le talent de l’artiste plutôt qu’elles n’entraînent l’âme dans la sphère des vérités cachées, dans le pur domaine des idées religieuses.

Que l’on suppose les peintures d’Hippolyte Flandrin transportées des murs sacrés qu’elles décorent sur les lambris d’une galerie de tableaux : elles y paraîtront en quelque sorte trop immatérielles pour le lieu et jusqu’à un certain point profanées par le contact des toiles mythologiques ou des sujets d’histoire environnant. Il y aura