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dans l’effet produit à cette place par ces doux cantiques pittoresques quelque chose de la sensation de surprise et presque de malaise que causerait une méditation de saint François de Sales lue dans une réunion littéraire ou le Stabat de Pergolèse chanté sur la scène d’un théâtre. Il en adviendrait tout autrement des tableaux religieux peints par Ingres. Placés au-dessus des autels, ils n’exciteraient au lieu de la ferveur qu’une admiration mondaine, ils ne feraient que substituer à de mystérieux appels à la piété un spectacle limité et formel, tandis que dans les salles d’un palais ils supporteront l’examen des curieux et des hommes du métier aussi impunément que le voisinage des œuvres profanes. Encore une fois, là où les conditions de la tâche à accomplir intéressent exclusivement l’intelligence et l’expression du beau humain, Ingres se comporte en maître et en maître du premier ordre. Il dispose en pareil cas non-seulement d’une science rare, mais d’une puissance de sentiment assez personnelle et assez haute pour que celui qui la possède doive être qualifié d’artiste de génie. Ailleurs il ne se montre que peintre d’un grand talent, et tout en maintenant comme toujours l’art dans les régions élevées, tout en le pratiquant avec une loyauté au-dessus des accommodemens ou des aventures, il réussit à nous en faire respecter la dignité plutôt qu’à entraîner notre imagination.

Parmi les travaux du maître les plus propres à préciser les facultés dominantes de son organisation et cette aptitude principale à dégager le beau du réel, deux groupes d’œuvres seraient féconds en renseignemens et en preuves. Nous voulons parler de ces nombreux dessins d’après nature, portraits ou études, qu’Ingres jetait sur le papier en une heure ou deux, bien souvent en quelques minutes, et de cette série de portraits si variée dans l’interprétation des types et des physionomies qu’ouvrent dès le commencement du siècle le portrait du peintre et celui de Mme Devauçay, que viennent clore à peu près trente ou quarante ans plus tard, ceux de M. Bertin et de M. Molé, de Mme d’Haussonville et de Mme de Rothschild.

On sait ce que dans un croquis rapide un artiste met nécessairement de l’impression produite sur lui par l’objet dont il résume les apparences, et avec quelle franchise involontaire s avec quelle bonne foi obligée il révèle la vivacité de son sentiment ou il en dénonce l’insuffisance. Bon gré, mal gré, il faut ici qu’il s’interroge et réponde séance tenante ; il lui faut en quelques signes noter pour ainsi dire l’idée mélodique que la nature lui suggère, sauf à la développer ensuite, à la compléter sur la toile par l’expression étudiée des détails et par les combinaisons de l’harmonie. Si l’idée