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de Provence. Il est né à Cassis, et ville de mer et clé de France, » Cassis, un petit port inconnu que le poète célèbre en termes magnifiques. Ce n’est pas seulement l’enthousiasme d’un fils du midi pour la perle marine qui brille sur ses rivages, il faut bien que l’auteur nous prépare aux prouesses du héros. « Je voudrais que vous les vissiez partir, les Cassidiens ! A peine se dissipent les dernières chaleurs de la journée, cent, deux cents bateaux ou barquerolles, tels qu’une bande de pluviers qui prend l’essor loin de la rive, gagnent le large en silence sur la mer qui clapote. » À cette école de courage tranquille et résolu s’est formée l’âme naïve de Calendal. Un jour, sur les montagnes qui dominent la côte, au milieu des bruyères, il a vu apparaître une jeune femme, plus belle.que tout ce qui peut éblouir le regard en ce radieux pays, plus sauvage que cette sauvage nature. Ne serait-ce pas la fée Estérelle, la fée qui trouble les cœurs, fascine les yeux et désespère ceux qui la poursuivent ? Ce n’est pas la fée Estérelle, c’est la fille des princes des Baux, la fille des vieux rois de Provence, qui a épousé le comte Sévéran, et qui, le jour même de ses noces, apprenant que le comte est un gentilhomme bandit comme Gaspard de Besse, s’est enfuie du château des Alpines. Comment elle peut vivre errante, cachée, à l’abri des rochers et des bois, comment elle apparaît si souriante à Calendal avec sa blanche robe et sa ceinture flottante, ne le demandez pas trop rigoureusement au poète ; le souvenir des récits du moyen âge a séduit son imagination ; nous sommes ici en pleine légende, et l’esprit de la littérature réaliste aurait trop beau jeu contre l’inventeur. Qu’importe après tout, si de cette donnée un peu enfantine il fait sortir de belles peintures et de viriles leçons ? Calendal a juré de déployer toutes les forces de son âme pour mériter un jour celle qu’il nomme la fée Estérelle. L’histoire de ces hauts faits est le sujet même du poétique récit. Affronter tous les périls, regarder la mort en face, prouver qu’il est de race noble par la, hardiesse du cœur et que le généreux plébéien est digne de la fille des princes provençaux, tout cela est un jeu pour Calendal. Avec quelle joie il recherche les occasions d’héroïsme ! héroïsme naïf d’abord, qui s’épure, qui s’élève d’épreuve en épreuve. A quoi bon le courage inutilement employé ? L’héroïsme vrai, c’est celui que nous mettons au service de nos semblables, c’est surtout celui qui nous aide à nous dompter nous-mêmes. Toutes ces leçons, la fille des princes de Provence est amenée naturellement à les donner au Cassidien enthousiaste. On dirait parfois une Béatrice parlant le langage de la vertu moderne. Par une fiction ingénieuse, c’est Calendal lui-même qui raconte ses principaux exploits au comte Sévéran avant de livrer sa dernière bataille et d’exterminer les bandits. Toutes ces peintures belliqueuses, luttes contre la nature, contre les hommes, contre soi-même, offraient plus d’un écueil au poète. Comment éviter la monotonie dans une série d’épisodes que le même sentiment anime et qui vont au même but ? Comment se préserver d’un peu, de pédantisme et de subtilité en montrant l’héroïsme populaire épuré par l’enseignement de la jeune patricienne ?