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sérieuses difficultés qui entravèrent un moment sa marche audacieuse et précédèrent la magnifique victoire d’Austerlitz. Les immenses mouvemens stratégiques qu’il lui fallait accomplir entre l’armée amenée d’Italie par l’archiduc Charles et celles que les empereurs d’Autriche et de Russie groupaient en face de lui en Moravie absorbaient alors toute son attention. Plus tard, après la paix de Presbourg, le soin de tirer de son éclatant triomphe tout le profit possible avait encore distrait sa pensée des affaires moins importantes qui s’étaient passées loin de sa vue de l’autre côté des Alpes. L’occupation d’Ancône et les doléances du saint-siège avaient donc été oubliées ou mises de côté pour céder le pas à de plus pressans intérêts. Ce fut peu de jours seulement avant son retour en France qu’à Munich, le 7 janvier 1806, Napoléon trouva enfin le temps de répondre à la lettre de Pie VII.

Pour comprendre, nous ne saurions dire pour justifier l’inconcevable et méprisante hauteur qui allait faire tout le fond de cette tardive réponse, il faut avoir présente à la pensée, comme une explication peut-être et non point à coup sûr comme une excuse, la série des étourdissans succès que venait de remporter Napoléon. Ils étaient de nature à l’enivrer d’orgueil ; mais la véritable grandeur eût peut-être consisté à porter avec plus de modération les faveurs prodigieuses et d’ailleurs si bien méritées dont la fortune venait de le combler. Cette modération qui fait toute la bonne grâce des grands hommes ne lui avait pas manqué, lorsqu’au lendemain d’Austerlitz, sur le champ de bataille encore fumant des débris ensanglantés de l’armée autrichienne, il avait reçu avec une aimable courtoisie le malheureux souverain de cette puissance tout à coup déchue de son rang parmi les nations. Dans tout ce qui se rapportait immédiatement à la guerre, les procédés du général primaient volontiers chez Napoléon les calculs du politique. Lorsqu’il était au milieu de ses soldats, une certaine générosité propre au métier des armes ne lui était pas étrangère. C’est ainsi qu’il avait, sans trop le presser, laissé Alexandre se dégager comme il avait pu de la formidable étreinte dans laquelle, en général malhabile, le souverain de la Russie avait assez étourdiment compromis son armée. Les premières exigences produites dans son entrevue avec l’empereur François, au bivouac de Paleny, n’avaient rien eu non plus de trop excessif. Les dangereuses chances du terrible jeu de la guerre étaient encore assez présentes à sa pensée pour lui inspirer quelque réserve ; mais à mesure qu’il s’était éloigné du théâtre de ses récens exploits, les habitudes de son caractère avaient peu à peu repris le dessus. Dans les négociations ouvertes à Presbourg, il n’avait pas en effet tardé à témoigner la manifeste intention de démembrer