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place au plus vif enthousiasme. Le sénat, le corps législatif, qui tous deux, au début de la campagne, avaient pu être accusés d’un peu de froideur, éclatèrent en transports d’admiration. Les adresses des conseils municipaux emplirent à nouveau les colonnes du Moniteur. Tous les corps publics qui n’avaient pas encore perdu chez nous l’usage de la parole s’en servirent à l’envi pour célébrer le merveilleux accomplissement de ces projets, dont la simple annonce les avait naguère passablement épouvantés. La chaire, elle, ne s’était jamais tu. Elle n’eut seulement qu’à monter d’un ton le diapason déjà si fort élevé de ses ardens panégyriques. Les noms de Pépin, de Charlemagne et du grand Cyrus retentirent plus que jamais avec les rapprochemens accoutumés sous les voûtes de nos grandes cathédrales de France comme sous les humbles toits de nos modestes églises de village.

C’est au milieu de ce concert d’éloges qui de tous côtés arrivait à ses oreilles qu’ouvrant pour la première fois peut-être la lettre de Pie VII, Napoléon entendit résonner comme une note pénible et discordante le cri de douleur échappé à la conscience du souverain pontife. Depuis que cette lettre avait été écrite, combien de rapides événemens s’étaient succédé en peu de temps en Italie et en Allemagne, dont le saint-père ne pouvait pas même être soupçonné d’avoir en rien subi l’influence, car ils n’étaient pas encore accomplis quand il avait mis la plume à la main ! De ces événemens, quelques-uns avaient laissé à l’empereur un désagréable souvenir. Malgré son définitif et incomparable triomphe, ce sont ceux-là qui paraissent avoir occupé sa pensée pendant qu’il répondait à Pie VII. Le roi de Naples l’avait trahi. A Rome, lorsqu’on avait cru les Napolitains et les Russes prêts à envahir la ville, son oncle, effrayé d’un si dangereux voisinage, avait eu la faiblesse de s’adresser aux ennemis de la France pour ménager la sûreté de sa légation[1]. L’idée seule de cette démarche lui était restée sur le cœur comme un affront d’autant plus insupportable que, pour l’éviter, il avait d’avance fait parvenir au cardinal Fesch l’ordre de se rendre à Bologne en cas d’alarme[2]. Les Prussiens avaient un instant failli prendre parti contre lui, et la nouvelle de sa situation, momentanément compromise entre les armées russe et autrichienne, avait, pendant quelques courtes journées, fait reluire un éclair de joie, à Rome comme ailleurs, sur le visage de tous ses ennemis ; voilà ce qu’en écrivant au saint-père il n’avait garde d’oublier, sans se soucier toutefois de savoir si Pie VII avait, à un degré

  1. Lettre de Napoléon Ier au cardinal Fesch, 22 décembre 1805.
  2. Lettre de Napoléon à M. de Talleyrand, 10 décembre 1805.