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paraissaient froissés de cette proscription sommaire d’un homme qui avait négocié avec eux, qui s’était fait estimer de quelques-uns, qui était d’ailleurs arrivé à Vienne sous la sauvegarde morale des gouvernemens anglais et français, et ils lui firent savoir qu’il pouvait rester sans inquiétude sur les terres de l’empire. Pasini refusa le bénéfice de cette tolérance exceptionnelle ; il préféra, au moins pour le moment, partager le sort de ses compatriotes, bannis pour un crime de patriotisme dont il se sentait coupable, et il s’achemina vers Lugano. C’est à peine si quelques mois plus tard il put obtenir des autorités militaires lombardo-vénitiennes la permission d’aller voir son père mourant à Schio, près de Vicence, et comme le père ne se hâtait pas de mourir, on lui refusa durement une prolongation de séjour en le menaçant de le faire conduire à la frontière, s’il ne partait immédiatement de lui-même. Peu de jours après, il n’eut d’autre moyen que de revenir en secret, aidé de quelques amis, et il put assister ainsi aux derniers momens de son père ; il ne vit personne, pas même son fils, qu’il avait laissé dans un collège de Vicence, et il repartit.

C’était un émigré de plus. Pasini avait cependant une position particulière. Il avait été évidemment et il restait un adversaire décidé de la domination autrichienne en Italie ; mais cette domination, il l’avait combattue en quelque sorte régulièrement, en plénipotentiaire presque reconnu en Europe. Pour le reste, il s’était toujours peu mêlé aux partis intérieurs italiens ; il les avait blâmés souvent, il s’était tenu soigneusement en dehors de leurs luttes et de leurs violences. Il n’était pas homme à se laisser envahir dans l’exil par les passions des partis vaincus et humiliés, pas plus qu’il n’était homme à s’aigrir dans l’oisiveté. A Turin même, où il se transportait bientôt, il évitait de prendre couleur, il restait volontiers, quoique sans affectation, étranger aux mouvemens de la politique de tous les jours, aux polémiques bruyantes, et il se croyait obligé à d’autant plus de réserve qu’il n’avait pas demandé les droits de citoyen piémontais comme beaucoup d’autres émigrés. Il se bornait à reprendre cette œuvre d’investigation pratique pour laquelle son esprit semblait si bien fait, à poursuivre une série d’études sur les finances des provinces lombardo-vénitiennes, sur les chemins de fer. C’était sa manière de participer au mouvement dont le Piémont, à peine remis de la défaite de Novare, restait l’unique foyer en Italie. Il était même sur le point de devenir le promoteur d’une institution de crédit foncier dont une société de banquiers voulait lui confier la direction, lorsqu’un incident venait encore une fois changer sa position. On se souvient peut-être ou on ne se souvient pas d’une échauffourée qui eut lieu à Milan en 1853, et qui était l’œuvre de Mazzini.