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sans peur. » Il était poète : sur l’échafaud, il ne voulut d’autre prêtre ni d’autre livre de prières qu’un volume des poésies de Ronsard. Quant à Marie Stuart, elle est encore plus idéale et plus étrangère aux réalités du drame. la femme comme le poète la voit, comme il est de mode peut-être aujourd’hui parmi les jeunes poètes de la voir, c’est-à-dire un bel objet sans cœur, sans valeur intellectuelle et morale, et cependant faisant le malheur d’un homme d’esprit et de cœur uniquement parce qu’elle est belle, tel est le portrait de la reine d’Ecosse que M. Swinburne s’est flatté de faire accepter. Elle est dure et, sur la foi d’une lettre à Bothwell qui a une tout autre portée, elle avoue avec une sorte de candeur sa dureté ; elle est versatile et veut la grâce de Chastelard quand on demande sa mort, sa mort quand on demande sa grâce. Elle signe le sauf-conduit de son amant et va le lui redemander dans la prison. Non-seulement elle est cruelle et ordonne le supplice pour sauver sa réputation, ce qui est malheureusement et dans l’histoire et dans la nature ; mais elle a des velléités féroces, ce qui n’est ni féminin ni historique, elle s’enivre du spectacle de la bataille qui dans la réalité ne flattait que sa vanité de femme ; sa peau délicate se plaît à effleurer les lames bien affilées, elle voudrait manier l’épée et verser le sang. Cette veine sanguinaire, ce désir de donner la mort est à peu près dans tous les types de femme dont l’auteur a rempli son volume de poésies. La Marie Stuart de M. Swinburne est la même femme que Dolorès, que Faustine, que Félise, et toutes ses déesses de beauté avides de victimes ; c’est la Vénus de son Laus Veneris, mais ce n’est pas la reine d’Écosse. Comme un illustre poète dont il s’est souvenu en plus d’une page de ce drame, il a façonné ses personnages dans la matière subtile de sa fantaisie, il les a découpés dans la brillante étoffe de son imagination païenne ; puis il leur a cherché des noms dans le passé, il a promené ces patrons tout faits dans l’histoire et a modelé les personnages réels sur ses fictions. Cette marche peut convenir à des conceptions telles qu’Atalanta. Dans le drame moderne, dans le drame romantique (je prends ce mot au sens anglais), elle est contraire à la nature des choses. Pour faire entrevoir l’idéal élégiaque et personnel de ce drame, il suffit de quelques vers du monologue de Chastelard au cinquième acte.

« La mort serait-elle le profond sommeil d’un homme fatigué ? Le sommeil, c’est déjà beaucoup. N’est-ce qu’un sommeil ? Mais il n’en est pas qui me puisse faire oublier cet amour rivé a mon être ; il n’est ni sommeil, ni repos mortel qui y puisse atteindre. Ah ! dans l’étroit espace de la tombe, dans la poussière qui remplira mes yeux, sa figure viendra voltiger encore avec le parfum pénétrant de ses cheveux, avec le feu subtil de ses regards